Documentaire ou théâtre ? Faits divers et histoires de fantômes. Sur les lieux mêmes où ils exercent leur métier, un douanier, une vendeuse de cosmétiques, un patron de night-club, la consule d'Autriche au Cameroun, un chauffeur de taxi nous racontent un drame souterrain de l’esclavage sexuel ou domestique contemporain. Ou plutôt non, ils ne le racontent pas, chacun parle à la première personne, comme habité par la voix de la victime qui est passée par là, une de ces nombreuses invisibles qui trament l’envers du décor de notre belle Europe libérale.
Réalisateur | Anja Salomonowitz |
Acteur | François Niney |
Partager sur |
Une ombre au tableau : c’est ce que projette le film "Kurz davor ist es passiert". Anja Salomonowitz compose des tableaux, des saynètes, qui subvertissent les frontières du documentaire et de la fiction. Tous les éléments assemblés sont documentaires : lieux et personnes dans l'exercice de leur fonction, texte vraisemblablement issu de dépositions de police ou de témoignages, mais leur assemblage décalé produit une sorte de doublure ou de doublage entre la personne réelle qui parle et la voix absente (mais non moins réelle) qu’elle actualise. "Kurz davor ist es passiert" ressemble à de la photo posée, mais doublement posée dans la mesure où les filmés valent à la fois pour eux-mêmes dans leur métier et leur lieu (ce qui est le propre du documentaire), et pour un(e) autre à qui ils donnent voix, ce qui caractérise la fiction (alors même que le texte est visiblement un document authentique). En faisant d'un homme ou d'une femme "normal(e)", sur son lieu de travail quotidien, le porte-voix à la première personne d’une des nombreuses victimes invisibles du trafic d’esclaves moderne, le film incruste le refoulé criminel de nos sociétés dans le décor et la geste de notre vie normale, nous rendant sensible la cohabitation avec ces fantômes.
François Niney
Docteur en Philosophie et en Études cinématographiques, critique et documentariste
Une ombre au tableau : c’est ce que projette le film "Kurz davor ist es passiert". Anja Salomonowitz compose des tableaux, des saynètes, qui subvertissent les frontières du documentaire et de la fiction. Tous les éléments assemblés sont documentaires : lieux et personnes dans l'exercice de leur fonction, texte vraisemblablement issu de dépositions de police ou de témoignages, mais leur assemblage décalé produit une sorte de doublure ou de doublage entre la personne réelle qui parle et la voix absente (mais non moins réelle) qu’elle actualise. "Kurz davor ist es passiert" ressemble à de la photo posée, mais doublement posée dans la mesure où les filmés valent à la fois pour eux-mêmes dans leur métier et leur lieu (ce qui est le propre du documentaire), et pour un(e) autre à qui ils donnent voix, ce qui caractérise la fiction (alors même que le texte est visiblement un document authentique). En faisant d'un homme ou d'une femme "normal(e)", sur son lieu de travail quotidien, le porte-voix à la première personne d’une des nombreuses victimes invisibles du trafic d’esclaves moderne, le film incruste le refoulé criminel de nos sociétés dans le décor et la geste de notre vie normale, nous rendant sensible la cohabitation avec ces fantômes.
François Niney
Docteur en Philosophie et en Études cinématographiques, critique et documentariste