Jour après jour

Comment peuvent-ils tenir à trois là-dedans ? Dans cette pièce unique ?
La patronne et l’autre femme qui cousent et décousent, décousent et recousent tandis que le bruit incessant de la machine nous transperce. Ne s’arrêtant que pour manger debout, toujours, face à la montagne cruelle de tissus bigarrés, toujours intacte, toujours recommencée. Derrière elles, l’adolescent sombre et muet, cuisine, debout lui aussi, inlassablement. Et comment peut-il se tenir là, lui, le quatrième, l’homme derrière la caméra  à une place qu’il  parvient à creuser dans ce réel infernal, où nous venons nous aussi prendre place. « Je voulais faire un film sur l’espoir »  a dit Bai Long, un jour à propos  de son projet. Cet espoir sans issue qui fait tenir malgré l’absurde, tout contre lui. Il y a quelque chose de Beckett dans ce huis clos de la répétition, rafraîchi, balayé par des éclats de rire et de cruauté.

Chantal Steinberg
Directrice de l’école documentaire de Lussas