En 1970 naissaient Les Rencontres d’Arles, qui célébraient un art à l’époque considéré comme mineur : la photographie.
Depuis, tous les ans, l’été arlésien se peuple d’expositions, de projections, de rencontres, à travers toute la ville, devenant un événement culturel majeur pour le monde de la photographie.
L’an dernier, le festival fêtait donc sa 50e édition. Et cette année, en 2020, il aurait dû fêter ses 50 ans. Mais 2020 n’est pas exactement une année comme les autres. Après avoir envisagé tous les scénarios pour s’adapter à la situation, Les Rencontres photographiques d’Arles n’auront pas lieu. Crève-cœur pour les organisateurs, et pour tous les amateurs.
Par cette Escale, et en modeste écho à Arles, nous avons tenu à célébrer une nouvelle fois l’art photographique à travers les films documentaires.
Pourquoi faire l’éloge d’un festival qui n’a pas lieu ? Pourquoi explorer l’univers de la photographie quand on n’y a pas accès ? Certainement pour entretenir la flamme et rappeler que les images empêchées ne le seront que le temps de quelques mois, qu’elles attendent la lumière et que cette attente, ce temps retardé n’est pas un temps perdu.
Voilà l’endroit où se situe exactement cette programmation, l’endroit de notre désir. Aussi nous avons souhaité vous présenter deux temps de films documentaires, deux veines de films :
Des œuvres documentaires qui présentent des pratiques photographiques actuelles, généralement sous la forme de portraits de photographes filmés, témoins agissant de l’Histoire et qui laissent aux générations futures leurs regards, leurs instantanés, leurs empreintes sur l’état des sociétés humaines.
Il en est ainsi de Reporters, mais en 1981, où Raymond Depardon suit à la trace ses collègues reporters de presse. Un film de cinéma direct qui, 40 ans après sa réalisation, laisse songeur quant aux changements qui ont eu lieu dans nos systèmes d’information…
Mapa de sueños latinoamericanos, qui fut diffusé dans le cadre du festival Cinelatino, est un voyage à travers l’Amérique latine. En retrouvant des personnages qui ont peuplé ses photographies dans les 30 dernières années, le réalisateur ne fait pas qu’un voyage géographique mais bien dans l’histoire du continent. Où la photographie parle du temps passé, des bouleversements, des vents tragiques de l’histoire…
Dans Le Photosophe, des instants avec Frank Horvat, Sandra Wis nous propose un portrait complice, un véritable échange avec Frank Horvat, 90 ans, dont 70 à prendre des photos. Là aussi, c’est une traversée de l’histoire : le photographe, sa carrière derrière lui, revient sur les quelques centièmes de secondes accumulés qui font son œuvre.
Enfin, À la recherche de Vivian Maier est une enquête captivante, construite de manière classique, pleine de rebondissements et de révélations. Dont la plus grande est en effet la découverte de cette photographe fascinante, Vivian Maier, inconnue jusqu’alors et dont les autoportraits en particulier méritent le regard, un regard qu’on échange avec elle dans les miroirs qui la reflètent…
L’autre versant de notre programmation est constitué de films documentaires de grands créateurs d’images, dont l’objet est moins d’interroger directement la réalité que de questionner les images qui s’attachent à la représenter. L’ensemble que nous avons sélectionné nous raconte d’abord que le temps des images est dans notre esprit : c’est leur place dans l’histoire des représentations qui a guidé notre choix.
Godard et Miéville, dans l’épisode 3a de leur série télévisée Six fois deux étudient précisément, à leur manière révolutionnaire, la fabrication des images journalistiques, en particulier sous l’angle économique.
Autre série, autre réflexion sur la production de photographies, Contacts, initiée par William Klein, se base sur un principe limpide : un photographe parle de ses planches contacts en nous montrant les avant et les après des clichés qu’il estime réussis ("ça c’est une photo" dit Klein dans l’épisode que nous vous proposons). En simples bancs-titres, on plonge alors dans la pratique du photographe, dans ses déplacements dans l’espace, et dans ce qui fait son regard.
Sur le même principe des images fixes commentées, un autre grand nom du documentaire, Chris Marker, propose, dans Si j'avais 4 dromadaires, un voyage dans ses images de voyage, révélant à travers elles sa propre intimité de fabricant d’images…
C’est dans cette double approche que s’est dessinée cette Escale photographie. En attendant des jours meilleurs nous vous convions au rendez vous de ces œuvres remarquables que les rencontres photographiques d’Arles ne cessent de célébrer. L’art photographique et l’art cinématographique sont une élévation, ils nous permettent de vivre les yeux grands ouverts, condition nécessaire à notre survie.
Jean-Marie Barbe
Président de Tënk, co-fondateur des États généraux du film documentaire de Lussas
Cette programmation est soutenue par
la Cinémathèque du documentaire.
>Retrouvez ici toutes les Escales
Jean-Marie Barbe est réalisateur, producteur et porteur de projets dans le milieu du cinéma documentaire. Il est né à Lussas (Ardèche) en 1955. Il se passionne pour le cinéma dès son plus jeune âge. Dans les années 1970, il étudie les sciences humaines à l’université et s’engage dans des combats sociaux libertaires et écologiques qui le conduisent au documentaire "politique". Il nourrit alors la conviction de rester en milieu rural afin de le transformer par le cinéma. Il réalise plusieurs films et fonde en 1978, avec trois amis, l’association Le Blayou, dans le but d’organiser le festival "Cinémas des pays et régions" contre le centralisme parisien du cinéma. En 1979, l’association devient Ardèche Images. C’est sous l’impulsion de la Bande à Lumière et d’Ardèche Images que vont s'organiser les premiers États généraux du film documentaire en 1989. C’est le point de départ d’une activité tournée vers le cinéma à Lussas, activité qui se poursuit aujourd’hui à travers plusieurs structures. Jean-Marie Barbe continue également la réalisation. Son dernier film, coréalisé avec Arnaud Lambert en 2016, est consacré au cinéaste Chris Marker, "Chris Marker Never explain never complain".