Le documentaire d'auteur est d'abord un rapport personnel, voire intime, au monde. Pourtant, cette expérience singulière est avant tout écrite et réalisée pour être partagée avec un public. Sa force réside donc dans le fait de construire une proximité, de tisser des liens forts avec ce dernier, le temps d'un film. DOC-Cévennes propose au public de Tënk une Escale autour de six rencontres avec des personnages aux vies a priori très éloignées des nôtres mais qui sont, pourtant, autant d’histoires qui nous parlent, nous révoltent, nous rassemblent. Chaque année, notre festival, ancré dans le Parc national des Cévennes, expérimente, tout en générosité, la rencontre entre publics locaux et réalisateur·ices venu·es du monde entier. Ainsi muni·es d'une aiguille et du fil rouge qu'est le documentaire de création, une des formes actuelles les plus propices au partage et à la découverte, on s'essaie à relier les mondes au gré des débats et des discussions. C'est notre côté artisan.
Le point de départ est toujours un film, une envie de cinéma comme Yaar de Simon Gillard qui à nos yeux faisait déjà preuve d’une très grande maturité pour un premier film. Il y avait quelque chose de neuf et d'envoûtant dans la proposition. Place ensuite à la rencontre, aussi improbable soit-elle. Venu présenter lui aussi son premier film, le réalisateur mexicain José Villalobos est arrivé à Lasalle deux jours avant le festival. Vernis écaillé multicolore aux doigts, il s’est assis dans un coin et peu à peu les bénévoles se sont tassé·es autour de lui. Deux jours plus tard, il avait fait d’elles et eux les principaux·ales représentant·es de son film, qui en a d’ailleurs perdu son titre. Ce n’était plus El Charro de Toluquilla, c’était “Le film de José”. “Vous allez voir quoi ce soir ?” “Le film de José.”
Ces rencontres sont toujours une deuxième expérience en soi, tant pour l’équipe et les festivalier·ères que pour les cinéastes. On pense volontiers à Zosya Rodkevich, réalisatrice russe qui nous a confié en arrivant ne pas comprendre la raison de sa présence. "My Friend Boris Nemtsov est un film intime qui s’inscrit dans le contexte politique russe et que j’ai tourné en pensant presque exclusivement au public russe. On ne peut vraiment le comprendre qu’en étant russe. Ça ne peut pas intéresser des gens si lointains du sujet.” Il n'a pas fallu longtemps à notre public, chargé de questions et toujours enclin à la discussion, pour faire disparaître ses doutes et créer un lien direct avec elle. Cela s’est notamment traduit récemment par notre soutien pour elle, restée en Russie malgré l’exacerbation de la répression sur place depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine. On peut également citer Camilla Nielsson, réalisatrice danoise qui accompagnait son film Democrats sans trop savoir où elle mettait les pieds. Revenue cinq ans plus tard avec sa partenaire, à qui elle voulait faire découvrir la région, le souvenir de chaque membre de l’équipe était encore frais en elle. “Je termine ma trilogie et je reviens, promis” nous a-t-elle dit en partant.
Toutes ces rencontres sont devenues des relations particulièrement fortes. Si notre festival renouvelle depuis maintenant 9 ans un focus sur la création québécoise, il s’agit avant tout d’une véritable relation d’amitié que nous célébrons. L’exemple le plus emblématique est la réalisatrice Michka Saäl, venue pour la première fois en 2006 pour présenter Les Prisonniers de Beckett et que le co-fondateur du festival, Henri de Latour, avait réinvitée pour une masterclass sans attendre qu’elle ait réalisé un nouveau film. Au total nous l’avons invitée six fois, avant de lui rendre hommage avec une rétrospective posthume en 2018. Et comme la fidélité est une valeur essentielle à nos yeux, nous avons encore tenu à mettre les projecteurs sur elle lors de la programmation “Au Canada” de la BPI à l’automne 2022. Il en va de même pour Jean-François Lesage, venu présenter ses trois derniers films en l’espace de quelques années, et qui n’hésite pas à nous offrir les premières françaises de ses films !
Notre 22e édition, du 17 au 20 mai 2023, sera tout cela à la fois : des retrouvailles, des découvertes et le plaisir de partager ensemble un moment unique dans un cadre exceptionnel : celui d’un village niché dans une vallée du Parc National des Cévennes. Ce moment sera également l'opportunité de "relier les mondes" en renforçant les liens avec des cinématographies du monde entier et de célébrer les valeurs de solidarité et de générosité qui animent le festival. Nous voulons faire de cet événement un point de rencontre entre différentes cultures, un lieu de dialogue et d'échange pour créer des ponts entre différents univers artistiques.
L'équipe de DOC-Cévennes