Palestine, soulèvements cinématographiques

Palestine, soulèvements cinématographiques

À l’heure où le gouvernement israélien bombarde sans relâche Gaza, colonise dans ses moindres recoins la Cisjordanie et Jérusalem-est – les Palestinien·nes, elleux, se refusent à devenir archive. Cette programmation tente de déplacer le regard sur des images médiatiques qui ont tendance à représenter les Palestinien·nes selon le seul prisme de l’urgence, de la violence et du « conflit ». À travers le regard de ces cinéastes, cette programmation ouvre un espace d’écoute et de réflexion pour (ré)humaniser une société meurtrie et parler de la Palestine autrement, alors qu’une armée occupante tente d’effacer un territoire, un peuple, une histoire. Un cinéma-archive contre l’effacement.

L’histoire des Palestinien·nes est celle de la (re)conquête d’une visibilité historique, politique et cinématographique. Dès le début du 20e siècle, les Palestinien·nes ont été exclu·es du cadre. Les images prises par les Européens pendant le mandat britannique (1920-1948) véhiculaient souvent une vision mythifiée, orientaliste d’une terre « sainte » : la Palestine était filmée sans présence humaine à l’image. C’est ensuite l’UNRWA, agence de l’ONU pour les réfugiés palestiniens créée en 1949, qui a pris en charge la représentation des Palestinien·nes après la Nakba (« catastrophe » en arabe, qui correspond à la création de l’État d’Israël et l’expulsion de 800 000 Palestinien·nes). Ces nouvelles images dépeignent les réfugié·es comme des victimes aux voix étouffées, renforçant leur dépersonnalisation et leur stigmatisation misérabiliste.

C’est dans les années 1960-1970, à l’avènement du mouvement de résistance contre l’occupation, que les Palestinien·nes sortent du silence imposé et reprennent le contrôle de leur récit. Comme They Do Not Exist de Mustafa Abu Ali, les cinéastes produisent leurs propres images militantes contre l’impérialisme occidental. Mais à nouveau, Israël frappe. Beyrouth, 1982 : le centre d’archives réunissant films et photographies de l’histoire palestinienne est pillé par l’armée israélienne. Malgré tout, la lutte pour préserver les mémoires audiovisuelles persiste, comme l’affirme Reem Shilleh dans son documentaire Perpetual Recurrences. À partir des Accords d’Oslo en 1993, le cinéma palestinien dépeint, à travers des histoires personnelles, la vie sous occupation. Ce quotidien par l’intime, on le retrouve à Gaza, où le réalisateur Khalil Almuzayen, en collaboration avec Arab et Tarzan Nasser, revient sur l’histoire des cinémas dans la ville à travers Gaza 36 mm. En Cisjordanie, Nahed Awwad, dans 5 Minutes From Home, retrace l’histoire d’un aéroport devenu Qalandiya, un des checkpoints les plus militarisés du pays. Entre humiliation et déshumanisation, c’est en Palestine historique que Salim Abu Jabal archive au présent un énième déplacement forcé à Roshmia. Enfin, la perspective de la diaspora, interdite du droit au retour, pourtant inscrit dans la résolution 194 de l’ONU, est illustrée avec 194. Nous enfants du camp.

Six films, six situations historiques et géographiques, six histoires intimes desquelles émerge une histoire collective faite de déplacements forcés, de détentions arbitraires, de ségrégation, d’expropriation et d’anéantissement. La Nakba ne s’est pas terminée en 1949, elle est toujours en cours plus que jamais. On garde en mémoire la citation d’Edward Saïd qui résonne encore tragiquement aujourd’hui : « Toute l’histoire de la lutte palestinienne a un lien avec la volonté [des Palestinien·nes] d’être visible ». Malgré tous les efforts génocidaires du gouvernement israélien, la Palestine est bien là et ne deviendra pas archive.

 

Charlotte Schwarzinger
Doctorante contractuelle en études politiques (EHESS-CéSor)
et programmatrice culturelle
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Marion Slitine
Anthropologue, chercheuse postdoctorale (EHESS-MUCEM)
et commissaire d'expositions

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