À des journalistes qui demandaient en 1923 à George Mallory pourquoi il tenait tant à atteindre le sommet de l’Everest, le célèbre alpiniste anglais leur aurait répondu : "Parce qu'il est là". Phrase lapidaire nimbée de mystère, l’expression a fait florès, jusqu'à devenir une sorte de slogan. Elle participe de cette représentation de l’alpiniste comme une sorte d'illuminé, un être mu par une volonté quasi mystique, à la recherche d’un Graal. L'alpiniste est alors vu comme un héros des temps modernes, obnubilé par la performance et très éloigné des contingences du monde réel. Il incarne un corps (le plus souvent masculin) glorifié, porté aux nues et à qui l'on pose cette sempiternelle question : pourquoi se confronter à la montagne ? Pourquoi y grimper ? Il est pourtant probable que le mot de Mallory ait été prononcé comme une boutade, sur le ton de l’agacement, pour se débarrasser de journalistes lui posant la même question pour la énième fois. Tout porte ainsi à croire que la réalité est parfois bien plus triviale que l’histoire que l’on voudrait raconter, sans doute moins séduisante.
Le film de montagne est un genre en soi, apparu très tôt dans l’histoire du cinéma, qui a emprunté la plupart de ses codes à la littérature du même nom. On y use et abuse souvent de quelques recettes : le dépassement de soi comme ressort de l’exploit, l’affrontement entre une montagne cruelle, perfide et des alpinistes courageux, admirables et fidèles. On y accentue la dramatisation, en décrivant tous les dangers que la montagne renferme, listant ses victimes et embûches qu'elle sème, avant de sacraliser l’alpiniste qui parvient à la vaincre. Malgré les avancées technologiques qui nous permettent de suivre au plus près les alpinistes, le genre a finalement peu évolué. Et même si le ton se fait moins guerrier qu’il y a un siècle, le spectateur soucieux de sortir d’un état de simple fascination pour ces exploits peut parfois se sentir frustré.
Les films proposés ici déconstruisent tous, à leur manière, l’imagerie classique du film de montagne. Ils s’intéressent moins à la conquête des sommets en en elle-même, qu'aux "failles" qui l'accompagnent. Ils questionnent ainsi les interstices en regardant ce qui se passe avant, après ou autour de ces ascensions. Ils s’attardent également sur la possibilité de faillir, de tomber. Dans ces films, plus qu’ailleurs, l’accent est mis sur les doutes, les peurs : celles qui tenaillent la voix, qui font trembler les jambes, celles qu’il faut appréhender, apprivoiser et connaître pour savoir si il faut oui ou non les dépasser ou renoncer. Ce vide abyssal, ce doute existentiel, peut parfois menacer l'alpiniste fût-il au sommet.
Cette programmation invite donc à se mettre au bord du sentier pour regarder ceux qui s’élancent à "l’assaut des sommets", qu’ils soient professionnels ou amateurs, grimpeurs du dimanche ou habitués des 8000. Bien loin de glorifier "l’exploit surhumain", ces films tendent au contraire à redonner toute la dimension humaine à ces engagements individuels et par la même à rendre la montagne terriblement humaine, dans toute sa démesure…