Les films de Bill & Turner Ross

Les films de Bill & Turner Ross

Qui a dit que la route du succès se terminait à Hollywood ? Certainement pas Bill et Turner Ross, qui, commençant à y gagner leur vie dans le montage et la direction artistique, décident de retourner dans leur ville natale de l’Ohio avec leurs économies (et quelques cassettes mini-DVs volées au passage) pour y tourner leur premier film, 45365 (2009). Geste fondateur qui pose autant l’esprit d’indépendance et le désir de fidélité à soi qui irriguent l’œuvre à venir qu’un attachement au local. À des échelles variables, de deux villes autour de la frontière américano-mexicaine dans Western (2015) à un bar dans Bloody Nose, Empty Pockets (2020), les films sont inséparables de l’ancrage dans des microcosmes à travers lesquels les frères tissent la tapisserie d’une Amérique à la fois populaire, familière et tenue à l’écart des projecteurs.

Le style visuel emprunte au cinéma direct, avec une caméra à l’épaule permettant un maximum de réactivité et de proximité. Mais l’effet d’immersion tient aussi au parti pris de dessiner les personnages par fragments, sans forcer un discours via des entretiens ou commentaires : « On fait confiance au public. Comme quand on entre dans une pièce, on comprend juste en étant là : l’enjeu n’est pas dans les faits, il est dans l’expérience », précise Turner Ross. (…) « On crée une architecture de fiction, mais on se repose sur des expériences réelles pour la remplir », résume Bill. 

La menace d’une fin plane sur les communautés, les familles réelles ou symboliques saisies par les frères Ross : un bar ferme, un mur s’élève entre Mexicains et Américains, une tempête semble toujours pointer à l’horizon… Leur vision singulièrement touchante doit beaucoup à la façon dont les images chargées d’authenticité et d’énergie vitale laissent poindre un envers de fragilité, une touche de douceur enfantine et de nostalgie relevée par des mélodies de boîte à musique. La pratique des frères, habitués depuis toujours à documenter leur propre vie, reste, comme l’exprime Turner, fondamentalement liée à une impulsion première de « capter le moment qui passe, comme au bord d’une falaise ».

Second Star to the Right and Straight on ‘Til Morning (2021), making of de Wendy de Benh Zeitlin (qui habite comme eux la Nouvelle-Orléans), commandé puis rejeté par la Fox, est à cet égard faussement mineur. Le regard impressionniste opère une inversion selon laquelle le tournage apparaît moins comme le moyen de réaliser un film que de vivre pleinement l’instant. Ni River (2013), libre et improbable descente de l’Ohio et du Mississippi sur une embarcation d’infortune, ni Rose City Hurricane (2023), essai virevoltant dans lequel les cinéastes reviennent sur leur processus créatif, ne démentiront ces propos : « faire des films est un métier, mais c’est aussi une manière de vivre ».

 

Source : Romain Lefebvre, « Ross Brothers, une expérience américaine », Cahiers du Cinéma n°798, mai 2023

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