Selon la chercheuse Lindiwe Dovey, l'histoire mondiale du cinéma est profondément liée à l'histoire de la colonisation, de la suprématie blanche et de l'impérialisme (Dovey, 2015). En effet, la naissance du cinéma en Afrique est concomitante à l'invention du cinéma, à son développement et à la colonisation du continent africain par les puissances occidentales. Inventé en 1895, dix ans seulement après la Conférence de Berlin qui voit le partage de l'Afrique par les pays européens, le cinéma devient alors aussi un outil de propagande coloniale qui exalte le mythe de la mission civilisatrice occidentale. Pour illustration, les Français et les Britanniques mettent progressivement en place des unités de production cinématographique dans les colonies et le décret Pierre Laval (du nom du ministre français des colonies) de 1934 interdit de filmer dans les colonies françaises sans l'autorisation du lieutenant-gouverneur de la colonie concernée.
Concrètement, il est donc impossible de faire des films anti-coloniaux et les Africains ne peuvent pas se filmer eux-mêmes. Ainsi à Dakar dans les années 40, dans le quartier populaire de Colobane, où a grandi Djibril Diop Mambety, le cinéma ABC projette des films français, du cinéma novo brésilien et surtout des westerns américains. Il est vrai qu’avant les Indépendances en Afrique francophone, les westerns occupent une large place dans la programmation des salles de cinéma sur le continent : chaque année environ 150 films américains (soit 3 films par semaine), principalement des westerns, occupent les 220 salles de cinéma.
Bien qu’après la Seconde Guerre mondiale, les autorités coloniales commencent à stigmatiser le genre western, elles continuent néanmoins de le tolérer comme un divertissement pour la jeunesse. Toutefois, soucieuse de ne pas montrer des scènes qui pourraient encourager la révolte contre l'ordre établi, la censure supprime les scènes de bataille qui évoquent trop explicitement la répression par les troupes coloniales ou celles qui montrent la défaite des Indiens ou des peuples colonisés par exemple. Bien qu'apprécié par les publics, le genre western est aussi critiqué par l'intelligentsia africaine qui y voit tout le contraire de ce qu'elle défend : en effet, le cinéma doit être un outil d'éducation de la jeunesse pour les futures nations indépendantes. Au Congrès des artistes et des écrivains noirs qui a lieu à Rome en Italie en 1959, le groupe de cinéastes conduits par Paulin Soumanou Vieyra, travaille sur une résolution qui précise que le cinéma ayant servi jusqu'alors les objectifs du colonialisme, doit désormais être approprié par les Africains pour l'éveil des consciences.
Par la suite, après les indépendances, les cinéastes du continent ont à cœur non seulement de faire des films, mais aussi de renverser le regard colonial qui a été porté sur le continent jusqu'alors. Malgré cela, l'imagerie occidentale et coloniale véhiculée pendant la colonisation, a influencé les premières générations de cinéastes africains. Critiqué par la Fédération Panafricaine des Cinéastes (FEPACI) à sa sortie, Le Retour d'un aventurier, réalisé par le cinéaste nigérien Moustapha Alassane en 1966, est considéré comme le « premier western africain ». Jean Rouch disait du film qu'il correspondait en même temps à l'éthique du western et à celle de la tradition orale africaine ; qu’il était « scandaleux, inquiétant et [faisait] réfléchir tous les spectateurs ». Plus tard, Djibril Diop Mambety confiera qu’il n’a eu de cesse, toute sa vie et d’un film à l’autre, de vouloir refaire Le train sifflera trois fois (High Noon, 1952, Fred Zinnemann), qu’il avait vu quand il était jeune.
À travers le genre western, qu’ils adaptent à leurs contextes et à leurs imaginaires, les cinéastes du continent ouvrent également un espace de souvenirs et d'utopies. Le western représente un espace de liberté, d'indépendance où d'autres histoires que celles qui avaient été racontées jusqu'alors peuvent exister. Le cowboy noir devient un symbole populaire de contre-culture et un (anti) héros. Il se bat avec courage, s'affranchit du racisme et de la sujétion sociale, politique et culturelle, et renverse ainsi l’image du cowboy qui, traditionnellement associée à la conquête coloniale et à la figure du héros blanc, a participé à la construction du mythe impérialiste américain. Le « western-foura » devient entre les mains des cinéastes afro-diasporiques, un genre subversif. Aujourd'hui encore, des artistes et des cinéastes tels que Mohammed Bourouissa, Aryan Kaganof ou Camille Varenne par exemple, s'emparent du genre ou de la figure du cowboy noir, et les réinventent, tout en continuant d'interroger les liens entre les représentations de l'espace, les pratiques sociales, culturelles, les identités et le pouvoir, dans une perspective postcoloniale.
Le programme de films Western Foura : les cowboys sont noirs ! met en exergue un pan de l'histoire du cinéma mondial passionnant et peu connu, qui renouvelle notre appréhension des cinémas africains à l'aune de l'influence et de l'appropriation du western par les cinéastes afro-diasporiques. Les cinéastes utilisent le genre, comme ils utilisent le médium cinéma, pour soulever des questions sur ce qui les préoccupe et ce qui concerne les sociétés dans lesquelles ils vivent. L'ici et l'ailleurs s'entremêlent comme les genres, sans nécessairement qu'ils soient dits ou revendiqués comme tels, et sont perçus comme autant d'opportunités, de possibilités de circulation, de dialogue et de création de nouvelles formes d'existence de l'art, du cinéma et du monde.
Farah Clémentine Dramani-Issifou
Commissaire d'exposition, programmatrice de films et chercheuse
5 documentaires
_Les cow-boys sont noirs_ retrace le tournage de _Retour d’un aventurier_ (Moustapha Alassane), premier western africain, et prouve par la même occasion que la réalité et la fiction, le cinéma et la vie, sont parfois extrêmement proches, surtout quand il s’agit de la conquête de l’Ouest.
Dans ce film de fiction, Jimmy, de retour d'un voyage aux États-Unis, revient dans son village au Niger. Il rapporte en cadeau à ses amis des panoplies complètes de cow-boys du Far West. Dorénavant, ainsi habillés de mythologie américaine, ils ne s'appellent plus Kali, Ibrahim ou Boubakar, mais Black Cooper, James Kelly, Casse-Tout ou encore Reine Christine. Et, à l'instar de ce qu'ils imaginen...
B.T. est chauffeur routier, il roule de Johannesburg jusqu'à Lüderitz, en Namibie. Arrivé là, il regarde le coucher du soleil. Il pense à son grand-père qui a trouvé la mort dans le camp de concentration allemand de Shark Island, au large de Lüderitz. Il pense à sa petite amie qui l’a abandonné. Ou qu'il aurait abandonnée. Ses souvenirs personnels se mêlent aux souffrances de la grande Histoire.
Mohamed Bourouissa filme les « urban riders », ces cavaliers d'un quartier pauvre de Philadelphie, sortes de cow-boys urbains des temps modernes. Le film rend compte avec force de cette utopie à travers un club équestre associatif à vocation sociale qui accueille les jeunes du quartier et sert de refuge aux chevaux sauvés de l'abattoir. Fasciné par l’histoire de la représentation des cowboys no...
« Blakata » signifie lâcher prise en dioula, une des langues parlées au Burkina Faso. _Blakata_ est un western documentaire tourné avec les cavaliers de Ouagadougou et Bobo Dioulasso. Centaures urbains, ils inspirent crainte et méfiance. Droits et fiers sur leurs montures, ils interprètent leur propre quotidien, se racontent devant la caméra, puis s’inventent des mythes et basculent dans un réc...
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