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La Terre tient nos rêves

La Terre tient nos rêves

Quel rapport entretenons-nous avec la terre (avec un grand et avec un petit T) ? Une programmation conçue par l'équipe du festival international Jean Rouch.

« Du désir du rêve participent le goût, l’amour du cinéma », écrivait Robert Desnos en 1923. En filmant les rêves, nous disait-il, il s’agirait alors «… de choses vues, d’un réalisme supérieur, puisqu’il ouvre [le cinéma] à la poésie et au songe » (1923). En faisant escale là où la Terre tient nos rêves, nous entrons, comme Desnos y invitait, dans cinq désirs de rêves et cinq goûts du cinéma. Et ces « choses vues » regardées avec poésie, humour ou désolation, ces rêves et ces désirs, sont des espaces bien terrestres, des histoires de terre, avec un grand et avec un petit T, et de ce que nous, humains, en faisons. Notre rapport à la terre révèle nos humanités, nos façons d’être humains et inhumains. Dans ces histoires intimes, sans prétention ni grandiloquence, ce n’est rien de moins que l’avenir de notre Terre et de notre humanité que ces films interrogent.

Qu’est-ce qui nous pousse à creuser la terre, construire des cabanes, tresser des couronnes de fleurs ou peupler les arbres de dragons ? Comment comprendre, regarder, ou voir même, les effets invisibles de la production de plutonium ou du creusement de mines ? Les images de machines voraces avalant une terre qui saigne (Flotacija) résonnent étrangement avec les tranquilles pistils de fleurs contaminés pour l’éternité (Richland), mais aussi avec les gestes passionnés des femmes, des enfants, des hommes qui cueillent, creusent et travaillent la terre pour y trouver leur trésor (Waking Up in Silence, Les Rêveurs et la Juge, Lisière). Derrière ces visions de boue, de roche, de fleur et de fruit, de béton, de force et de persévérance humaine à modifier le bois et la terre semblent se tenir en permanence un « pourquoi ? » et un « vers où ? », parfois même « pour quoi ? » et « jusqu’où ? ». Et dans ce questionnement se joue la survie des personnages et de leurs mondes.

Car ce qui nous engage dans notre travail de la terre et de la nature est énorme, presque trop important pour qu’on puisse en parler – la nécessité s’exprime alors en songe, en rêve (le réalisme supérieur de Desnos). Ce sont d’abord nos désirs profonds, vitaux, connectés à nos enfances et qui nous donnent le courage de vivre dans les mondes qui nous entourent : construire une cabane où s’autonomiser d’une société trop violente (Lisière), chercher un trésor antique pour continuer à rêver et contourner les contraintes d’une dictature (Les Rêveurs et la Juge), cueillir des fruits et des fleurs pour échapper à l’enfermement d’un foyer de migrants (Waking Up in Silence), tuer les dragons pour retourner un instant dans le monde mystérieux « d’avant » (Flotacija). Et encore, dans Richland, s’acharner à habiter et à nettoyer un monde que l’on a détruit et rendu néfaste, selon un geste presque existentialiste. La terre comme refuge existentiel, lieu de ressources et de mystère bienveillant, traverse tous ces actes, ces modes d’habiter et de travailler la nature. Un refuge où nous trouverions ce que nous n’avons plus dans notre quotidien, un Éden de pureté, de richesse, de liberté et de sécurité.

Les démarches filmiques et les cadres adoptés privilégient une grande proximité avec les personnages, plaçant les protagonistes dans les espaces naturels de leurs rêves et nous permettant d’y accéder avec fluidité. Ces lieux se bâtissent aussi par les mémoires qu’y engagent leurs personnages : celles qu’ils ont reçues, celles qu’ils construisent et celles qu’ils veulent transmettre. Elles dialoguent, se confrontent ou s’opposent grâce à des mises en scène simples, souvent poétiques, qui utilisent les éléments de la nature : le vent, le désert, la brume, la nuit, les arbres, les chants des oiseaux, les fracas des pierres. Les temps du passé, du présent et du futur s’entremêlent dans les récits pour faire émerger les mémoires rêvées.

Ces images qui soulignent la beauté de la terre feraient presque oublier le paradoxe fondamental de notre rapport humain à cette nature : nous la détruisons en même temps que nous cherchons à nous y réfugier. La violence de cette contradiction reste parfois en hors-champ, mais ce hors-champ peut être particulièrement visible et tangible, comme dans Richland où la normalité finit par paraître étrange, où l’amputation de la mémoire et la culpabilité forment l’arrière-plan de chaque parole ; ou dans Waking Up in Silence où le grillage qui enferme les familles réfugiées dans l’univers bétonné symbolise la barbarie de nos politiques d’« accueil ».

Nos mémoires, nos désirs d’avenir, de famille, de paix, de liberté sont dépendants de ce que nous faisons de notre Terre. Nos rêves s’ancrent et s’articulent à la Terre : comment pouvons-nous les réaliser si nous continuons à la détruire, à la maltraiter, à l’enfermer ? Dans quel monde voulons-nous vivre, que voulons-nous laisser à nos enfants ? Ces questionnements fondamentalement politiques résonnent dans chaque film, et interrogent nos quêtes de liberté et de justice, nos volontés de poursuivre nos rêves.

Ariane Zevaco
Festival International Jean Rouch

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