La sélection de l'IDFA

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Qu'est-ce qui fait un bon film ?
Une note sur les films de l'IDFA sur Tënk - par Orwa Nyrabia, août 2022


J'ai un drôle de métier. Une bonne partie consiste simplement à regarder des centaines de films chaque année, en en discutant avec une équipe de personnes talentueuses et bien informées, puis en décidant de ce qui est "in" et de ce qui est "out". Il s'agit d'un mélange entre un travail parasite, qui tire sa valeur de la valeur du travail des cinéastes, et un travail très exigeant qui consiste à essayer de commenter le cinéma et le monde à travers le cinéma en créant des arrangements de films imaginatifs, en définissant le monde à travers l'art, et vice versa. La programmation de films peut être un travail artistique en soi, si on s’en donne les moyens.

On me demande souvent "qu'est-ce qui fait un bon film ?" et je rechigne toujours à donner une réponse directe. Tout simplement parce que je ne veux pas trouver de réponse. Je crois que la recherche de telles réponses est étrangère au processus artistique. Comme le dit Werner Herzog dans sa Minnesota Déclaration : "La vérité est pour les comptables". Si j'avais une réponse, j'appartiendrais à un groupe. Si j'appartenais à un groupe, je perdrais toute chance de trouver la liberté, de découvrir l'autre film fascinant, le film dont je ne savais pas qu'il pouvait être fait, l'accomplissement dont je ne savais pas que le cinéma était capable.

Un film est soit "à propos" de quelque chose, soit simplement en soi. L'"à propos" est la maladie du cinéma, et surtout du cinéma documentaire. Si nous voulons chercher un sens, nous pouvons faire confiance au cinéma lui-même, non pas pour lui-même, mais en tant que langage philosophique, émotionnel, politique et spirituel profond et complexe. Il faut que ce langage reste libre de dogmes, de paradigmes tout faits, ou même de références iconographiques, pour pouvoir continuer à se développer, à se déconstruire, à se reconstruire, à reconstruire son sens, pour pouvoir continuer à se surprendre et à nous surprendre. Un film qui "est" est un film qui ne tire pas son importance de son sujet. Sinon, comme l'acte de programmation que nous faisons, il cesse de faire partie de la question de l'art et entre dans d'autres domaines, comme l'éducation, la dictée, le lobbying, la propagande... entre autres.

Il y a un problème inhérent dans l'acte de programmation : il est défini par nos connaissances, nos points de vue et nos expériences antérieures. Nous continuons à développer nos méthodes et théories de "programmation", pour nous retrouver coincés dans des bulles que nous vénérons, que nous adorons. Mais une bulle, ça reste hors du monde. Pourtant, la "programmation" est nécessaire. Elle est en quelque sorte techniquement nécessaire. Trouver un équilibre entre ces deux réalités – "à propos" et "en soi" – est un défi de taille. Il s’agit d’être capable de traiter chaque film comme un organisme vivant, indépendant de son "sujet", aussi politique soit-il.  

Tout cela exposé, ces films sont tous des films de l'IDFA et ils sont tous merveilleux, chacun dans son propre univers. Il n'y a, heureusement, aucune autre caractéristique commune qui pourrait les définir en tant que groupe. Ce sont des objets singuliers qui ne peuvent pas être caractérisés par une phrase commençant par "un film sur…". Chacun de ces films est tout simplement, en soi.

Tënk est unique en son genre parmi les plateformes, pour de nombreuses raisons. La plus importante d'entre elles est le fait qu'elle ne cesse d’essayer, sans jamais abandonner la recherche. Ici, dans cette tentative de considérer la programmation comme un art, nous nous rencontrons, nous nous ressemblons, nous différons, nous réfléchissons et nous débattons. Après tout, la réflexion et le débat pourraient bien être le seul but du cinéma.

Orwa Nyrabia
Directeur artistique de l'IDFA

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