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La piste animale, ce qui nous relie

La piste animale, ce qui nous relie

N’y a-t-il pas quelque chose de profondément étrange dans le fait de vouloir interroger ce qui nous lie ensemble, humains et animaux ? Serions-nous frappé·e·s de cécité, au point de ne voir dans un paysage, un champ ou une forêt, qu’une image inerte ? Serions-nous à ce point démuni.e.s face à la crise écologique actuelle ?

Le terme de nature, on le sait maintenant, est un mot épineux, “un mot qui semble nous séparer de celle-ci”, selon la belle expression de l’écologiste américain David Abram. Dès lors, comment relier ce que nous avons savamment délié à coût de nature et de culture ? Comment retrouver une voie et une voix communes, retisser un espace et un territoire partagés ?

Peut-être en choisissant d’être “diplomatique”, à l’instar de Baptiste Morizot, le plié en deux, “celui qui se trouve à la frontière, contorsionné de telle manière à avoir une partie dans chaque camp, et qui se faisant rend possible une communication" (Manières d’être vivants, B.Morizot, Acte Sud).

Le cinéma documentaire peut-il être à cet endroit ? Le cinéaste peut-il être ce diplomate, cet être plié en deux qui parviendrait à traduire, à se faire l’interprète de cet espace entre-deux, cet espace entre l’humain et l’animal ?

Dans cette escale La piste animale, ce qui nous relie, nous cherchons cette voie/voix diplomatique qui pourrait être celle du cinéma. Et dans cette tentative, nous sommes habité·e·s par des livres et leurs auteur·ice.s. Il·elle·s sont pour nous des compagnons de route, souvent des éclaireur·euse·s : Baptiste Morizot, Vinciane Despret, Jocelyne Porcher, Jean-Christophe Bailly, et tant d’autres encore (sauf mention contraire, les citations proposées dans ce texte émanent du texte déjà cité, Manières d’être vivants). Chacun à leur manière nous invitent à vivre dans un monde où l’on fait attention. Nous avons suivi la piste qui se dessinait à travers leurs mots, mots qui nous ont aidés à rencontrer des films, qui à leur tour, nous ont aidés à repeupler le monde.

Le point de départ de cette programmation convoque les premiers gestes cinématographiques, ceux qui, depuis l’apparition du cinéma, ont “chassé sans tuer", en tentant de capturer l’insaisissable animal avec une caméra. Bêtes en miettes de Muriel Pic inaugure cette escale avec la voix de Jean-Christophe Bailly : “Y arriverons-nous à faire cohabiter l'ensemble du vivant ?”

La piste nous mène ensuite vers l’épineux enjeu de la cohabitation : Wolves at the Border de Martin Pav aborde le retour des loups en République Tchèque. Le Bruit du canon de Marie Voignier, tout à son art de disséquer le réel, nous propose d’observer l'invasion d'étourneaux ravageant chaque année les récoltes. Avec ces deux films, nous touchons des yeux ce en quoi “la crise de notre manière d'habiter revient à refuser aux autres le statut d'habitants”.

Si les progrès technologiques et le développement industriel ont perturbé l'équilibre entre l'humanité et les autres animaux, si la coexistence a été remplacée par l’efficacité, l'essai Res creata – Humans and Other Animals de Alessandro Cattaneo ravive à nos mémoires et à nos sens le fait que les sociétés humaines se sont construites avec des animaux et qu’ils font partie de notre identité.

Continuant sur ce chemin, Becoming Animal de Emma Davie et Petter Mettler nous propose une expérience de cinéma nous permettant d'éprouver avec nos sens comment notre existence est intimement liée à notre interaction avec la nature. Le constat qui chemine ici n’est pas sans réactiver celui fait par Baptiste Morizot de crise de la sensibilité : “un appauvrissement de ce que nous pouvons sentir, percevoir, comprendre, et tisser comme relations à l'égard du vivant”. À travers cet essai, c’est toute notre sensibilité de spectateur·rice qui se met au travail et cherche à repeupler ces territoires que nous avons concouru à désenchanter.

Nous la mangerons c’est la moindre des choses d’Elsa Maury relie d'une certaine façon ces antagonismes. Film central de cette programmation, on y suit une jeune bergère du centre de la France dans sa relation avec ses bêtes et notamment autour de la mise à mort inhérente à l’activité d’élevage. “La vie ne peut pas s'exprimer et s'épanouir dans l'univers industriel. Ce que produit le rapport industriel à la vie, c'est la mort” (Vivre avec les animaux, une utopie pour les XXIe siècle, J. Porcher, Édition La Découverte). Face à l’alternative impossible de notre société industrielle, apparaît avec notre bergère cette figure renouvelée de la relation dans laquelle la mort animale retrouve un sens et devient acceptable.

Épilogue de cette programmation, Ce film s’appelle Voilà de Jean-Louis le Tacon nous raconte de manière ludique et simple, un quotidien choisi auprès des animaux, dans lequel le cinéaste se prête à un dialogue improvisé avec eux. Ce dialogue n’est pas pour nous déplaire car il incarne à nos yeux et à ses dépens, ce diplomate que nous cherchions. “Parler conduit à peupler” (Être bête de Vinciane Despret et Jocelyne Porcher, Actes Sud). Et cela nous invite à comprendre qu’avec les animaux et les autres êtres vivants, “on est voué à traduire des intraduisibles”. Et que c’est dans cet exercice constant et perpétuel de traduction que nous pourrons “faire justice à leur intime altérité, à leur historicité compactée, à leur inventivité d'usage, qui les érige en nœuds et en énigmes”.

Le cinéaste en son jardin nous rappelle ainsi cette vérité simple et évidente qu’a établie Jocelyne Porcher : “on peut partager le même monde, on ne partage pas un monde identique. Cela n'empêche pas d'aimer”.

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