La comédie documentaire

La comédie documentaire

À la notion de documentaire  s’attache irrémédiablement  l’idée de drame, c’en est dramatique, presque comique. Le "cinéma du réel" serait moins drôle que celui de fiction. Le premier devrait s’en tenir à un sérieux dont le second n’aurait pas lieu de s’embarrasser. En un mot, ça ne rigole pas dans le documentaire. Et pourtant… Des cinéastes prouvent le contraire.

Jean Vigo regardait avec une ironie hilarante les riches paradant sur la promenade des Anglais (À propos de Nice). Agnès Varda faisait ses premiers pas avec espièglerie en se moquant des lieux touristiques (Ô saisons, ô châteaux ; Du côté de la côte). Les frères Maysles mettaient cruellement en scène les cousines de Jackie Kennedy en se laissant enfermer dans leur maison envahie par les ratons-laveurs (Grey Gardens). D’autres comme Hélène Lapiower (Petite conversation familiale) ou Claudio Pazienza (Tableau avec chutes, Esprit de bière) filmaient comiquement ou poétiquement leurs familles pour questionner nos pratiques sociales et culturelles… Où l’on voit que le cinéma documentaire sait avoir l’esprit d’escalier, d’à-propos, d’ironie, de subversion, de causticité, de provocation et de drôlerie qu’on a tendance à lui dénier.

Dans les six films que nous avons sélectionnés, il y a un écart qui ne va pas de soi, une limite, un point de rupture potentiellement burlesque entre ceux qui filment et ceux que nous voyons sur l’écran : la proximité dangereuse, la distance trop critique, le risque du politiquement incorrect sont à l’œuvre dans ces rapports plus ou moins fragiles qui nous sont donnés à voir. Jean-Luc Léon (Un marchand, des artistes et des collectionneurs) suit comme leur ombre un couple de marchands d’art tellement sûrs d’eux-mêmes et contents d’être filmés qu’ils ne se voient pas dans leur exercice de représentation. Ebrahim Mokhtari contourne l’interdiction de filmer des élections dans un village iranien en devenant complice d’une famille et révèle combien l’engagement de la mère dans ces élections soulève de contradictions cocasses dans la communauté (Zinat, une journée particulière). Nino Kirtadzé se tient si près de chaque membre de la famille géorgienne qui va enterrer son chef, qu’elle parvient, tout en nous faisant pleurer, à rendre comique l’excès de théâtralisation et de ritualisation qui les saisit tour à tour (Dites à mes amis que je suis mort). Clarisse Hahn se rend avec son compagnon kurde dans le village du jeune homme et prend le risque de filmer tous ceux qui l’observent avidement et d’enregistrer tout ce qui se dit dans une langue dont elle est loin d’imaginer la crudité (Kurdish Lover). Quant à Luc Moullet (La Cabale des oursins) et Avi Mograbi (Happy Birthday Mr Mograbi), ils engagent leur corps et leur image dans leurs films, en poussant au plus loin le risque du ridicule ou du scandale. Le premier devient l’idiot, en étant très sérieusement à ce qu’il fait (escalader des terrils), le second fait le pitre, en créant dérision et confusion à partir de trois anniversaires (celui de la création d’Israël, de la Nakba – la "catastrophe" pour les Palestiniens – et le sien propre).

Tous ces films documentaires sont drôles parce qu’ils jouent avec l’excès, un excès de proximité ou de distance qui peut tantôt nous séduire, tantôt nous déranger, en nous maintenant dans cet équilibre instable, cette peur et cette attente de voir l’autre — le cinéaste ou le protagoniste, parfois les deux — se casser la figure. Les auteurs de comédies documentaires ont bien compris la mécanique du rire à l’œuvre dans le cinéma de fiction, mais ils courent un risque supplémentaire en engageant dans cette mécanique des protagonistes de la vraie vie, qui ne sont pas payés pour tomber et nous faire rire. C’est ce risque supplémentaire qui donne du prix à ces films que nous avons choisi de vous montrer.

Bel été et bonne escale  !

Jacques Deschamps
Réalisateur

 

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