La Chose politique

La Chose politique

Cette Escale invite à faire un pas de côté et à aborder la question politique par la bande. Pour ce faire, Tënk a proposé à des journalistes et critiques de différents médias (L’Humanité, Mediapart, Politis, Regards, Reporterre) de programmer chacun un film où se met en jeu concrètement, parfois dans ses plus petites instances, la chose politique – comme ses alentours. Une Escale atypique accompagnée et mise en perspective par l'historien et chargé du patrimoine audiovisuel à Périphérie Tangui Perron.

Des six films ici proposés peut-on dégager des thématiques et des esthétiques communes et doit-on se lancer dans une telle quête ? D’emblée, Ice (1969) de Robert Kramer assume sa différence en revendiquant sa radicalité. Fiction d’anticipation dans laquelle le réalisateur incarne un révolutionnaire un brun paranoïaque – mais, comme le dit Woody Allen, ce n’est pas parce qu’on est paranoïaque qu’on n’a pas d’ennemis – ce film décrivant les activités subversives d’un groupe de militants américains nous paraît venir d’un autre temps. Tourné (en 16 mm) en un beau noir et blanc granuleux, empruntant à l’esthétique et aux techniques du cinéma-direct et ponctué de ciné-tracts tels qu’ils se sont répandus de Mexico à Paris autour de 1968, _Ice _est aussi profondément états-uniens (et c’est peut-être pour cela qu’il est en partie contemporain, vue l’américanisation d’une large partie de la planète) : les révolutionnaires se mobilisent et agissent par communautés, la dénonciation (se voulant marxiste) du rôle de l’État perçu comme un Moloch peut rassembler bien des courants politiques (opposés), les puissances économiques et étatiques d’oppression auront toujours un temps d’avance dans l’utilisation des techniques de contrôle, de communication et de surveillance, malgré les tentatives de guérillas ou… les séances de ciné-club imposés par les armes.

À côté d’Ice, la plupart des autres films, plus contemporains, apparaissent bien plus sages. On relève l’utilisation d’une caméra de contrôle dans La Cigale, le corbeau et les poulets (2017), le joyeux documentaire d'Olivier Azam, et d’écrans de contrôle dans Des jours et des nuits sur l'aire (2016) d’Isabelle Ingold – écrans par ailleurs massivement présents dans son dernier film coréalisé avec Vivianne Perelmuter, Ailleurs-Partout (2021). L’hydre bureaucratique au service du pouvoir économique apparait en off dans Sous la douche, le ciel (2018) d’Effi et Amir ou peut prendre le visage de notables locaux utilisant les écrans plats pour imposer leur langue de bois et pensées soumises (État d’élue (2010) de Luc Decaster). Du pouvoir du capital, de jeunes gens mobilisés pour le climat s’en approchent en investissant pacifiquement, avec une belle énergie, les tours de la Défense où Total et Paribas ont leur siège. Classiquement, le pouvoir politique dépêche alors les forces de l’ordre dont la violence et l’armement se sont accrus sont le quinquennat d’Emmanuel Macron – les jeunes activiste, ô suprême sacrilège, ont par ailleurs aussi décroché le portrait princier de ce dernier (Désobéissant.e.s !, Alizée Chiappini, Adèle Flaux, 2020). Les forces de l’ordre n’y vont pas non plus de main morte en investissant un village de l’Hérault et en interpellant un groupe de vieux farfelus et vrais lanceurs d’alerte, anarcho-communistes de surcroît. N’ayant pas peur du ridicule, les pandores font fausse piste – en cette période de recul des libertés publiques, l’on ne s’en prend pas impunément à un potentat local (La Cigale, le corbeau et les poulets).

En face de l’ordolibéralisme et du néolibéralisme autoritaire, les tentatives de résistance paraissent disparates, si ce n’est éparpillées. Il est vrai que les combats se mènent au cœur de la capitale comme au sein de territoires marginalisées et qu’ils peuvent mobiliser des jeunes femmes diplômées (Désobéissant.e.s !) comme de vieux briscards (mâles) tentant de réinventer un communisme rural (La Cigale…), et comme échappés de la bande-dessinée Les Vieux fourneaux. Ces derniers ont sans doute pour lointains cousins certains des personnages du documentaire de Manuel Frésil, L’argent ne fait pas le bonheur des pauvres (2020) – le Gard contient autant de zones délaissées et paupérisées que l’Hérault, zones qui peuvent elles aussi se muer en micro-utopies et parfois en zad. L’humour, l’autodérision et la gaieté (telle que la concevait Rosa Luxembourg) sont des armes pour les militant·e·s et les activistes à Bruxelles, Paris ou Saint-Pons de Thomières. À rebours, sans véritable base sociale et alors que les repères de classes s’affaissent, l’élu·e peut être gagné·e par le blues, tel que le ressent Françoise Verchère dans le film de Decaster. À ce portrait d’élue de terrain qui ne souhaite pas abandonner ses principes ou idéaux, on pourrait ajouter un autre documentaire d’Isabelle Ingold, Au nom du maire (2005), consacré à une maire et militante communiste du Nord de la France, ou au Risque d’être soi (2011) de Jean-Jacques Rault, dédié à un sénateur écologiste breton.

Mais que nous disent ces documentaires si divers de l’écriture cinématographique elle-même ? Faute de place, nous ne retiendrons ici que l’audace de Kramer, la rigueur formelle et politique, la brièveté également, de Des jours et des nuits sur l'aire et l’utilité, si ce n’est la nécessité, de recourir, en ces temps sinistres, à l’humour et à la poésie.

Tangui Perron, historien, chargé du patrimoine audiovisuel à Périphérie.
Dernier livre paru : Rose Zehner et Willy Ronis, naissance d’une image (éditions de l’Atelier).

Une Escale élaborée avec la participation de Politis, Reporterre, L'Humanité, Mediapart et Regards.fr

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