Tel un monstre inquiétant et pourtant familier, les États-Unis fascinent tout autant qu'ils inquiètent, incarnant cette figure tutélaire capable de dévorer ses propres enfants. En cette année d'élection présidentielle, les regards du monde entier sont braqués en direction de ce pays-continent qui lutte pour garder sa première place sur le podium des nations.
Les cinéastes n'ont pas attendu l'irruption de Trump sur la scène politique et ses quatre années de présidence pour mettre en lumière les forces contradictoires et centrifuges qui s'affrontent au sein de la société américaine. Certaines, comme la question raciale, ne datent pas d'aujourd'hui. Pour autant, les divisions géographiques et sociales, les fractures économiques et politiques ne peuvent plus être ignorées.
À travers cette Escale, nous vous proposons une plongée dans ce ventre de l'Amérique, cinq films qui parlent de celles et ceux qui sont avalé.e.s et recraché.e.s par le mastodonte états-unien et qui questionnent l'existence même du rêve américain et de ses idéaux.
Direction d'abord la frontière mexicaine. Broken Land nous révèle un pays littéralement au pied du mur. Pour les habitants qui vivent dans l'ombre de cette barrière construite sur des milliers de kilomètres, la présence fantomatique des migrants clandestins vire à la paranoïa et à l'obsession. Cette peur d'un migrant invisible met à mal le mythe de la terre d'accueil et nous renvoie à nos démons : quelle place laisser à l'inconnu, à l'autre ?
A Campaign of Their Own suit les militant·e·s qui ont soutenu Bernie Sanders pendant la campagne du parti démocrate pour les primaires de 2016, leurs espoirs pour le pays puis leur révolte après sa défaite. Il raconte les revendications des Amérindien·ne·s, des ouvriers, des femmes, des Afro-américain·e·s… En somme, de toutes celles et ceux oublié.e.s par les candidats de l'establishment y compris au sein du parti démocrate. Et c'est ici la crise de la représentation démocratique qui est mise à nu. Quelle place pour les minorités, les faibles, les perdants ?
Dans The Other Side, le cinéaste italien Roberto Minervini nous plonge dans une autre Amérique des "losers", un autre envers du rêve américain. Ce film aussi puissant que dérangeant suit d'abord Mark et Lisa, un couple de toxicomanes partagés entre misère et passion dans un milieu de violence. Puis nous voilà au sein de milices armées au Texas voulant déclencher une nouvelle guerre civile en opposant le Sud au gouvernement Obama. Quelle place laisser à la colère et à la haine ?
C'est justement ce trouble qu'explore Jean-Gabriel Périot dans The Devil. En à peine 7 minutes, son montage d'archives des années soixante sur la lutte des Black Panthers, nous questionne sur la légitimité de la violence. En réponse à celle qu'ils subissent de l'État et de la société, les Afro-américains peuvent-ils faire usage de la force ? Il nous fait ainsi éprouver et remonter aux racines des bavures policières, émeutes raciales et luttes qui agitent encore les États-Unis aujourd'hui.
C'est enfin du côté des survivants, de ceux qui sont déjà entrés dans une ère post-apocalypse que nous fait basculer Nicolas Steiner. Above and Below nous fait rencontrer ceux qui vivent au milieu du désert américain, dans des tunnels sous Las Vegas ou dans un centre d'entrainement pour partir vers Mars. Cow-boys, fantômes ou extraterrestres, ces figures de la mythologie états-unienne et de son cinéma sont aujourd'hui mises à mal par la crise économique et écologique. Et c'est ici le rôle de précurseur, de modèle quasi prophétique, souvent joué par les États-Unis qui nous est renvoyé. L'humanité peut-elle regarder en face le risque de sa propre disparition ?
En observant les États-Unis et ses divisions, c'est donc un miroir qui nous est tendu par les cinéastes. L'occasion unique de regarder nos propres lignes de failles de part et d'autre de l'Atlantique.
Éva Tourrent
Responsable artistique de Tënk