Jeunes & bruyant·es

Jeunes & bruyant·es

Jeunesse et révolution, même combat ? Jeunesse et pop culture, mêmes énergies ? Cette Escale propose de réactiver des histoires culturelles et sociales frappées par la même envie de bousculer, de contourner, voire de changer le système. La musique et les images de ces soulèvements en ravivent les colères et le désir de changer le monde. Et changer le monde peut commencer par changer soi-même : que ce soit à Kinshasa ou à Rennes, à Londres ou au Caire, dans la France périphérique ou dans les campagnes anglaises, ces six films évoquent des mutations, des mouvements collectifs, des stratégies de lutte. À l’instar des Trans Musicales de Rennes, partenaires de Tënk sur cette Escale, ces films d’hier et d’aujourd’hui font valser les étiquettes.

Sitos, Kinshasa sur le qui-vive nous propulse ainsi dans un courant musical tout neuf, le "Zagué". Sitos et ses compères inventent une musique hybride qui frictionne le hip hop avec des rythmiques saccadées hyper énergisantes. Né dans et de la rue, saturé, tendu, le "Zagué" raconte la vie quotidienne. Il met dos à dos les gangs qui régissent les quartiers et un système politique qui a fait la preuve de son incurie. Plus près de chez nous, Everybody in the Place a pour ambition de faire revivre de l’intérieur l’émergence du mouvement Rave dans la Grande-Bretagne des années 80. Les Bobbies envoyés par Margaret Thatcher (archives géniales commentées par l’artiste Jeremy Deller qui a bien connu cette époque) n’ont pas suffi à canaliser l’énergie d’une jeunesse issue des milieux populaires. Au son de l’Acid techno, des dizaines de milliers de ravers à travers tout le pays avaient la conviction intime de changer le monde en dansant. Sous les stroboscopes, la rage.

Est-ce que les fans du collectif Casual Gabberz (dont fait partie la diva Mathilde Fernandez, avec son duo Ascendant Vierge) partagent avec leurs aîné·es britanniques l’envie de changer le monde ? Le film Hard ♡ donne quelques éléments de réponse. Très brut, sur le vif, c’est au critique Simon Reynolds qu’il fait penser et sa théorie du Continuum Hardcore – ou comment se perpétue, au fil des déflagrations techno et des générations, une défiance envers le mépris de classe ou la notion de "bon goût". Puisant dans la scène techno hollandaise des années 90, le Gabber décliné par le collectif constitue la bande son idéale des lombalgies ultralibérales : la catharsis provoquée par une transe à 250 bpm permet de glisser sur le monde et de s’en inventer un autre.

Dans Electro Chaâbi, il s’agit aussi de ne pas céder et de continuer à exister, vaille que vaille. Là où le collectif Casual Gabberz tente de résister à une forme d’institutionnalisation, les musiciens du Caire brandissaient leurs claviers dans les bidonvilles. Il y a dix ans, la jeunesse égyptienne était elle aussi persuadée que le changement pourrait advenir par la rue, grâce à une nouvelle musique mélangeant beats et freestyles scandés à la manière du Rap ou du Reggaeton jamaicain. Elle composait la bande son d’un soulèvement dont on connaît désormais les échecs. Il n’en reste pas moins que ce film documente de l’intérieur – façon cinéma direct lui aussi dénué d’effets – les espoirs de toute une génération, enflammée, prête à prendre des risques pour le simple plaisir d’être ensemble. De partager un idéal démocratique. La jeunesse du Caire des années 2010 a en commun avec celle du Londres des années 80 de souffrir d’une société figée par le conservatisme.

Dans Babylon, fiction documentaire cultissime, la réalité est plus vive que tous les scénarii : le Sound-System du jeune rasta Blue constitue la métaphore transparente de l’édification de son propre chemin dans une société qui ne veut pas de lui. Les infra basses qu’il balance enveloppent les corps et les âmes. Elles fabriquent une histoire collective née du pavé et des caves. C’est aussi ce qui se dégage en filigrane de Rock da Breizh. Ce film écrit une certaine histoire de la scène rock bretonne. Il fait la part belle aux années 80, lorsque Marquis de Sade réécrivait le Post Punk de façon très personnelle. So Young but So Cold. Revoir ces archives aujourd’hui laisse imaginer que la lutte de cette génération rock était surtout intérieure. Ou comment le politique et l’intime tissent une énergie commune, entre refus des compromis, revendication d’une identité bretonne et esthétique du chaos chic. Les Trans ont accompagné tous ces mouvements. C’est avec la même intensité qu’on se replonge dans les images d’archives des Sound systems bretons ou dans les extraits du concert mythique des Béru en 2003.

On mesure au passage tout ce que la pop culture pouvait à l’époque contenir d’électricité. Cette édition 2022 du festival permettra de vérifier qu’elle est toujours présente en terres rennaises !

 

Benoît Hické
Programmateur et enseignant

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