Filmer l'interdit

Filmer l'interdit

« Faudrait enfin qu’on me réponde qu'on me convainque qu’on me rassure que je n’suis pas le seul au monde à vouloir qu'un jour on censure... la censure ! », chantait Henri Tachan.

Rassurons-le, non, il n’est pas le seul au monde. La preuve en images, avec cette programmation de sept films qui dévoilent ce que d'autres voudraient à jamais occulter. Filmer l’interdit, pari insensé pour lequel d’aucuns risquent leur vie. Filmer l’interdit pour mieux le dénoncer.

Si l’idée nous est venue, à Comptoir du doc, de proposer cette programmation, c’est en réponse à une proposition de loi. Plus précisément, à l'article 24 de la loi Sécurité Globale qui prévoyait, en 2020, de punir « d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende », le fait de diffuser des images d’un policier ou d’un militaire. Finalement retoqué par le Conseil Constitutionnel, l’article en question nous aura au moins donné l'occasion, à nous chargé·es des programmations Revers, Vrai de vrai !, Ré-elles, Images de Justice, Des Histoires, Made in China et Le Mois du film documentaire de préparer cette sélection de films en piochant dans les archives des programmations passées.

Hors-champ, mise en scène, désynchronisation son-images, écran noir, à travers sept objets cinématographiques tournés aux quatre coins du monde, nous vous proposons de découvrir comment des dispositifs de cinéma deviennent soudain de véritables outils pour raconter l'irracontable.

Seulement l’interdit, qu'est-ce que c’est ? Tantôt législatif, moral ou religieux, il nous est imposé mais s’exerce sur nous même lorsqu’il se fait tabou. Pluriel et insidieux, il aime se tapir jusque dans les replis de notre surmoi, ô sournoise autocensure ! Pas facile donc de traquer cet interdit qui diffère selon les pays, les sociétés, les cultures. C'est ce qu’expérimente l'iranienne Nafiseh Moshashaeh alors qu’elle se retrouve au milieu d'une manifestation française dans I Tried to Shout With Them, court métrage programmé par Julien Posnic (Vrai de vrai !). Dès lors, comment montrer ce qu'il est interdit de regarder ? Des réponses de cinéma surgissent. Utiliser le cadre, jouer avec sa valeur, élargir le champ et montrer les rouages, c'est le parti pris de Vitaly Mansky dans Under the Sun, programmé par Marianne Bressy (Image de justice). C’est aussi le cadre qui, dans A Woman Captured, proposé par Natalia Gomez pour Ré-elles, pousse la réalisatrice Bernadett Tuza-Ritter à opter pour le gros plan, faisant ainsi vivre au spectateur un peu de l’enfermement dont est victime son héroïne. Utiliser le champ comme territoire d'expression de l’indicible. Pour le cinéaste chinois Zhu Rikun, c'est l’écran noir de Welcome – programmé par Élodie Gabillard (Made in China), qui nous plonge dans l'anxiogène atmosphère de la salle d'interrogatoire. Jeté au cachot, le spectateur n’a plus même la lueur d'une image à laquelle se raccrocher. Mais filmer l’interdit, c'est parfois s’interdire de filmer. Dans 10 minutes de Jorge Leon, programmé par Laetitia Foligné (Des Histoires), le réalisateur sait le danger qu’il y aurait à mettre un visage sur le terrible témoignage que nous livre une jeune bulgare. Un visage auquel des centaines d’autres histoires pourraient venir se greffer. Tel est également le parti pris de Hayoun Kwon en nous livrant le glaçant récit de Manque de preuves, choix de Pierre Commault (Revers). Filmer l’interdit, c’est mettre la plume dans la plaie, c’est une insurrection en soi. C'est aussi s’insurger contre soi-même, avec toute l’autodérision de René Vautier que nous vous invitons à découvrir dans son très mordant court métrage Le Remords, programmé par Agnès Frémont (Le Mois du film documentaire).

Henri Tachan a raison, la censure n’est juste que lorsqu’elle s’applique à elle-même. Malheureusement, c’est rarement le cas.

Élodie Gabillard
Chargée de programmation Made in China - Comptoir du Doc

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