Fin des années 70 : des femmes militent pour se réapproprier leurs corps : avorter, faire un enfant ou non, accoucher comme bon leur semble. Un chef d'œuvre du film militant !
« L’ennemi reste celui avec lequel il n’y a pas de discussion possible » écrit François Niney en 1995 dans un numéro de la revue Images documentaires consacré à « Filmer l’ennemi ? ». Intégrant par la formule interrogative dès son intitulé les questions que cette problématique emporte, le dossier d’Images documentaires embrasse notamment les questions de distance, de connivence, d’empathie, d’adhésion ou non, de rapports de force – en somme ce qui relève de la relation – que les films déplient avec leur(s) sujet(s). Qu’est-ce qu’un film construit ou déconstruit, par son dispositif comme par les personnes qui y interagissent, dans les positions de chacun·e.
Trente ans plus tard, ces enjeux n’ont pas pris une ride... Cette Escale propose d’observer la question de l’ennemi en tant que construction d’un rapport – et donc la mécanique à l’œuvre dans la relation – excédant l’ennemi désigné et le·a cinéaste. Il s’agit de réunir des films qui, où qu’ils se déroulent et quels qu’en soient les protagonistes, ne viennent pas que chercher la parole de celui, celle ou celleux désigné·es comme ennemi·es. Des films qui en accueillant de diverses manières d’autres protagonistes insistent sur les oscillations à l’œuvre dans les relations et sur la part de médiation du dispositif cinématographique – modelant, de fait, une adresse spécifique par ce dispositif au public. Des films qui tentent souvent – au risque parfois que cela achoppe – d’établir une discussion avec l’ennemi.
Ce choix trouve sa source dans ce qui se joue dans Notre nazi de Robert Kramer. Dans ce film réalisé en 1984, le cinéaste américain suit un autre tournage : celui de Wundkanal, fiction du réalisateur allemand Thomas Harlan. On pourrait présenter le tournage de Wundkanal comme une souricière, que Notre nazi s’attache à méthodiquement mettre au jour : dans Wundkanal, Harlan – qui n’est autre que le fils du réalisateur nazi Veit Harlan, connu notamment pour Le Juif Süss – embauche un vrai criminel de guerre SS, Alfred Filbert. L’octogénaire, responsable de la mort de plus de 11 000 Juif·ves et inventeur d’une technique d’élimination de prisonnier·es politiques, doit jouer le rôle d’un criminel de guerre kidnappé par un commando et poussé à avouer ses crimes. Alors que Wundkanal déploie dans une atmosphère poisseuse un dispositif d’enfermement et de démultiplication de l’image du personnage joué par Alfred Filbert – devant accompagner l’aveu de crimes –, Robert Kramer filme les alentours du tournage. En filmant le hors-champ, Robert Kramer capte le redoublement de la souricière que Thomas Harlan a mise en place avec son film : c’est toute l’équipe du film qui est prise dans un guet-apens. Si Alfred Filbert – sorte d’ennemi fondamental en tant que nazi – se révèle un manipulateur hors-pair, le procès par le cinéma que souhaite mettre en œuvre Thomas Harlan soulève nombre de questions morales, ses procédés s’avérant problématiques par leur violence et perversité. L’on voit les discussions divergentes et fluctuantes au sein de l’équipe, l’empathie dominante de certain·es, le dégoût persistant d’autres, l’ambiguïté flottante d’autres encore.
Faire un film sur des personnes, sur un sujet, même si cela peut être faire contre, c’est aussi faire avec. Et aux rapports de force d’un film s’ajoutent des questions éthiques, politiques sur ce qui est accepté de part et d’autre de la caméra – car il y a bien pouvoir, autonomie, responsabilité des protagonistes étant devant (comme derrière) la caméra.
Aux côtés de Notre nazi, nous réunissons quatre films : La flaca Alejandra de Carmen Castillo et Guy Girard (1994) ; Derrière la ligne des boucliers de Marcelo Pedroso (2023) ; Route 181, fragments d’un voyage en Palestine-Israël de Michel Khleifi et Eyal Sivan (2003) et Post de Vitaly Mansky (1990). En Israël et en Palestine, au Chili, au Brésil, en Allemagne, en Arménie et en Azerbaïdjan, les cinéastes réuni·es observent un ennemi – celui qui oppresse, celui qui violente –, le construisent en même temps qu’iels le défont, en faisant bouger les frontières, en cherchant à voir ou comprendre le monde à travers leurs yeux, en leur opposant des discours, des images, des résistances, en interrogeant sans cesse leur position et la possibilité même de cette entreprise. En embrassant la complexité de la notion d’ennemi et en excédant la simple caricature, ces quatre films se mettent en mouvement – les rapports pouvant être autant d’adversité que d’altérité.
Dans Derrière la ligne des boucliers de Marcelo Pedroso (2023), la présence du cinéaste brésilien au sein d’un bataillon de choc de la police militaire n’a pas été sans questionnements éthiques. Soulevant la question de la réciprocité dans la relation et dans la façon dont chacun·e se considère (ou pas) comme un·e ennemi·e, le film s’intéresse notamment aux comportements de ces policier·es entre elleux dans leur quotidien. Comment parlent-iels de leur travail et de celles et ceux qu’iels sont amené·es à réprimer ? Jusqu’où le cinéaste peut-il aller sans glisser dans la complaisance ?
Avec La flaca Alejandra, Carmen Castillo et Guy Girard vont à la rencontre avec d’autres d’une ex-militante du Mouvement de la gauche révolutionnaire chilien qui sous la torture « donna » ses camarades. Après dix-huit années de soumission à ses tortionnaires, Marcia Alejandra Merino revient sur ses propres agissements, sa culpabilité, l’oubli impossible.
Dans Route 181, fragments d’un voyage en Palestine-Israël, les cinéastes Michel Khleifi et Eyal Sivan, l’un Palestinien, l’autre Israélien, sillonnent en voiture la « route » 181. Cette route virtuelle, qui n’existe pas en tant que telle – pas comme la Route One suivie par Robert Kramer aux USA dans son film éponyme (Route One, 1989) –, désigne les frontières de la résolution n°181 adoptée par les Nations Unies en 1947 et prévoyant la partition de la Palestine en deux états, juif et arabe. Khleifi et Sivan empruntent ici ce tracé du Sud au Nord, de la Bande de Gaza à la frontière libanaise. Tandis que barbelés, murs, frontières et autres checkpoints contraignent et limitent violemment les déplacements des Palestinien·nes – rappelant que la désignation d’ennemi·es s’adosse ici à tout un arsenal coercitif –, les rencontres de hasard scandent ce voyage. Qu’elles ou ils soient Israélien·nes, juif·ves, arabes, bédouin·es, jeunes ou ancien·nes, civil·es ou militaires, leurs multiples positions racontent un territoire sous tensions.
Dans Post, le cinéaste Vitali Manski se pose à un poste entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan occupé par des soldats russes pendant la première guerre du Haut-Karabagh (1988-1994). Ce conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, héritage pour partie des prémisses de la période soviétique, se fera en permanence sous l’œil et en présence de la Russie, qui semble bien plus qu'un juge de paix…
7 documentaires
Route 181, fragments d'un voyage en Palestine-Israël - Partie 3 : Nord
Durée : 1h26La route 181 suit les frontières de la résolution n°181 adoptée par les Nations Unies le 29 novembre 1947 prévoyant la partition de la Palestine en deux états, l'un juif, l'autre arabe. Cette frontière théorique a provoqué la première guerre israélo-arabe et un conflit qui dure toujours. Cinquante-cinq ans après, deux cinéastes, l'un israélien, Eyal Sivan, l'autre palestinien, Michel Khleifi, o...
Route 181, fragments d'un voyage en Palestine-Israël - Partie 2 : Centre
Durée : 1h45La route 181 suit les frontières de la résolution n°181 adoptée par les Nations Unies le 29 novembre 1947 prévoyant la partition de la Palestine en deux états, l'un juif, l'autre arabe. Cette frontière théorique a provoqué la première guerre israélo-arabe et un conflit qui dure toujours. Cinquante-cinq ans après, deux cinéastes, l'un israélien, Eyal Sivan, l'autre palestinien, Michel Khleifi, o...
Route 181, fragments d'un voyage en Palestine-Israël - Partie 1 : Sud
Durée : 1h25La route 181 suit les frontières de la résolution n°181 adoptée par les Nations Unies le 29 novembre 1947 prévoyant la partition de la Palestine en deux états, l'un juif, l'autre arabe. Cette frontière théorique a provoqué la première guerre israélo-arabe et un conflit qui dure toujours. Cinquante-cinq ans après, deux cinéastes, l'un israélien, Eyal Sivan, l'autre palestinien, Michel Khleifi, o...
Marcia Alejandra Merino, « la flaca Alejandra », ex-militante du Mouvement de la gauche révolutionnaire chilien (MIR), donna les noms de ses camarades, après avoir été torturée par la police politique de Pinochet. De retour d'exil, la documentariste Carmen Castillo, naguère dénoncée par « la flaca », la retrouve. À travers leurs entretiens, elle interroge la mémoire collective, entre déshumanis...
De 1988 à 1994 s'est déroulé ce qu'on appellera ensuite la première guerre du Haut-Karabagh. Ce conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan soviétiques constitue la première fissure de l'Empire soviétique et la première guerre en Europe pour la génération d'après la Seconde Guerre mondiale. En 1990 – une année peu ou prou avant l'indépendance des deux États –, l'équipe de tournage a passé plusieur...
Derrière la ligne des boucliers
Durée : 1h28Le réalisateur brésilien Marcelo Pedroso accompagne le bataillon de choc de la police militaire de Pernambouc au quotidien, participant aux opérations de routine et s'entraînant même avec l'équipe chargée de réprimer les manifestations.
Robert Kramer suit le tournage de _Wundkanal_, film de fiction réalisé par le cinéaste allemand Thomas Harlan (fils de Veit Harlan, l'auteur du _Juif Süss_). Sous influence de « l'automne allemand » de 1977 – et de la mort dans des circonstances suspectes de plusieurs membres de la FAR dans la prison de Stammheim – _Wundkanal_ raconte le kidnapping d'un dirigeant nazi poussé à avouer ses crimes...
Route 181, fragments d'un voyage en Palestine-Israël - Partie 3 : Nord
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Route 181, fragments d'un voyage en Palestine-Israël - Partie 2 : Centre
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