- Il faut que tout soit parfait : l’heure, le moment, l’endroit...
- Vicky, c’est toi que tu envoies en l’air, pas un satellite.
American Pie, Vicky Lathum et Jessica
eXplorations eXplicites
En partenariat avec le Festival du Film de Fesses
Toutes deux passionnées par cette thématique X, nous avions envie de montrer ensemble des films qui ne font pas seulement qu’aborder le sujet de la sexualité, mais qui relèvent le défi de la représenter, à travers toutes les potentialités et la complexité qu’elle revêt. Nous nous sommes tournées vers des films qui s'attachent à la fois à retranscrire le caractère intime de la sexualité, tout en osant se frotter, de plus ou moins près aux corps nus capturés, sans craindre de flirter avec cette frontière si sensible, si fragile de la pornographie. La particularité des films que nous avons choisi de vous présenter est de chercher à mettre en scène le sexe à travers un réel palpable et sensible, afin d'aller au-delà de la représentation pour retranscrire une expérience de la traversée des conditions humaines.
En anglais "to screen" (projeter, diffuser), veut à la fois dire, "révéler sur un écran" et "protéger derrière ou avec un écran". Ce double sens, que nous n'avons pas en français, exprime bien la nature du cinéma qui est à la fois de montrer à voir et de donner à imaginer. Cette caractéristique du cinéma renvoie au statut de la sexualité, naviguant constamment entre dévoilement et dissimulation. Ce couple antinomique "révéler et cacher" renvoie à celui de "réalité et fiction" et de "représentation (dans le sens de reproduction de la réalité) et fantasme" et questionne sur la séparation des genres, du cinéma classique, au cinéma érotique, à la pornographie. Brigitte Lahaie parle du cinéma érotique comme des préliminaires dans le rapport sexuel. Là où le cinéma érotique confronte l’abstrait, l’imaginaire, là où il convoque l’inconscient, le rêve, la pornographie n’existe que pour sa finalité : l’orgasme. En 1973, Luc Moullet voyait son film Anatomie d’un rapport, interdit aux spectateurs de moins de 18 ans, alors qu'il désirait filmer un acte sexuel comme dans la vraie vie, et débarrasser la sexualité de son image érotique à but masturbatoire.
L’eXploration eXplicite que nous vous proposons de parcourir se décline en quatre temps, plusieurs continents, différents genres, à travers huit films qui se répondent en miroir.
COÏT, MON AMOUR
Dans ces deux premiers films, les cinéastes ont voulu placer la caméra au cœur de leur intimité : une caméra sur pied, face au lit dans Anatomie d’un rapport, une caméra tenue à la main, en toutes circonstances pour Justine Pluvinage dans Fucking in Love. De ce fait, ils deviennent les personnages principaux de leur film (à l’exception d’Antonietta Pizzorno qui fait jouer son rôle par Marie-Christine Questerbert), bâtissant leur narration sur leurs méandres amoureux. Pour chacun d’eux, ce dispositif d’auto-portait répond à une urgence.
Pour Luc Moullet, elle est avant tout d’ordre cinématographique. Dans l’attente de pouvoir faire un nouveau film, il reçoit par erreur une petite somme d’argent, et imagine avec ce budget restreint un film intime, basé sur sa vie, tourné dans l’espace domestique. Sa compagne et coréalisatrice du film, va l’entraîner dans ses réflexions féministes sur la réappropriation de son corps, et ensemble ils vont tenter de remettre en cause leur couple, pour pouvoir enfin être deux à prendre leur pied. Les joutes verbales se succèdent, ponctués de tentatives charnelles, questionnant sans relâche le rapport de domination entre femmes et hommes qui conditionne la sexualité hétérosexuelle.
À l’origine du film de Justine Pluvinage il y a aussi le couple, mais c’est justement seule, après une rupture amoureuse, que le personnage de Justine va oser aller à la découverte de son corps et des plaisirs inconnus. Le temps de vacances à New-York, fraîchement célibataire, elle installe un protocole : coucher avec des hommes et les filmer juste après avoir fait l'amour. Mais que tente-t-elle de capter finalement ? Les marques du plaisir sur les visages en sueur et les draps mouillés ? L’intimité fragile qui émane des corps rapprochés ? La preuve d’une liberté conquise à chaque nouvel homme qui apparaît ? Derrière cette quête du désir vertigineuse, il est surtout question d’altérité : comment notre individualité se construit dans un échange perpétuel entre soi et les autres, puisque c’est dans les yeux et les mots des hommes qu’elle filme que nous la voyons se découvrir.
Ce parcours érotico-cinématographique, nous a amené naturellement du côté de l’économie du désir et de la marchandisation des corps, avec la pornographie dans Il n’a pas de rapport sexuel et une forme de prostitution pour I Don't Want To Sleep With You I Just Want To Make You Hard. Le film de montage du vidéaste Raphaël Siboni, comme le documentaire immersif de la réalisatrice Momoko Seto, questionnent, à travers ces industries du plaisir, le pouvoir des images. Par des procédés filmiques distincts, ils mettent le doigt dans un engrenage bien huilé, pour en montrer les dessous et les zones d’ombres. En levant le voile de l’illusion, ils interpellent les spectateurs sur la nature de ces lieux où le maître-mot est artifice.
Pendant plus de 10 ans, HPG, réalisateur, producteur et acteur de films pornographiques enregistre et archive les making-off de ses tournages avec une caméra-témoin placée sur un trépied. À l’origine, ces milliers d’heures étaient destinées à des sites internet, en diffusion en live cam, c’est à dire en "faux direct", mais il décide de confier cette matière brute à Raphaël Siboni pour qu’il en fasse un film personnel, sans aucune intervention de sa part. HPG à propos du film dira, à sa sortie en salle, "certains penseront que je suis une ordure, moi le premier peut-être. Mais, le malaise que j’éprouve devant le film est le signe, à mon avis, que le projet est réussi". En effet, Raphaël Siboni ne ménage pas HPG dans son film. Il révèle à la fois sa folie et le fait que la pornographie est une activité professionnelle, certes ambigüe dans les rapports entre les individus, mais qui n’a pas pour fonction de procurer du plaisir, ni aux actrices, ni aux acteurs, comme il s’évertue à nous le faire croire. Ce n’est qu’un dispositif technique qui recourt à une sexualité simulée pour produire une image.
Face à cet effet de distanciation que créent ces images d’archives remontées par rapport à son sujet, Momoko Seto, nous propose au contraire de s’approcher au plus près des corps de vendeuses de désir qu’elle filme elle-même. Dans des clubs japonais spéciaux, appelés kyabakura, des hôtesses légèrement vêtues entretiennent des discussions légères avec leurs clients à propos de sous-vêtements, de lingerie et de forfaits sexuels imaginaires et douteux. Mais tout attouchement est interdit. Tout est dans la parole et l'imagination. La proximité que nous avons avec ces hôtesses et leurs clients nous fait oublier qu’il y a une caméra. La réalisatrice crée du détail dans les stimuli érotiques : les sourires, le cadre, les regards, les textiles, la chair, le face caméra, nous mettent en situation, voire même nous intègre à ce jeu troublant de séduction tout à la fois artificiel et réel. Le film se déroule autour de cette incroyable mise en scène qui permet de vivre l'endroit, et prolonge même l’esthétique du lieu.
La sensualité qui émerge de This Smell of Sex et d’ Erotica, Exotica Etc... dépasse la définition strictement sexuelle, au profit d'une exploration des sens. Les images de cargos fendant la mer d’Evangelia Kranioti ou celles des marins dans des cales immenses remplies de sable nous emmènent au-delà des corps humains, dans des fantasmes mythiques, dans un érotisme sans frontières aux multiples visages. La voix de Sandy, ancienne prostituée chilienne, nous raconte pêle-mêle de sa voix éraillée, ses souvenirs encore brûlants. Ce passé redevient présent tant sa force d’évocation est portée par tout son corps. C’est le son de sa voix, telle une sirène qui nous transporte ailleurs. Tout comme, dans This Smell of Sex, ce sont les rires gênés, les mots jetés comme des onomatopées et les fredonnements de la chanteuse Yasmine Hamdan qui nous font dresser les poils sur le corps. La représentation de la sexualité s’émancipe ici des corps est s’incarne dans le témoignage. Danielle Arbid fait parler ses ami·e·s de Beyrouth. Hommes et femmes livrent, seuls ou en groupe, le récit de leurs ébats sexuels. Ces paroles, sensuelles et coquines, parfois teintés de regrets et d’envies inassouvies, qu’on a rarement l'occasion d’entendre résonnent dans le silence des images noires. Seule des images en Super 8 d’une jeune femme brune, nous apparaît tel un fantôme. Qui est-elle ? Le mystère est renforcé quand on découvre au générique que l’auteur de ses images est inconnu. Cette jeune femme qui minaude et se dénude, semble vouloir nous ramener à nos premiers émois d'adolescent, à l'innocence farouche et curieuse qui accompagne les premières fois ; tranchant avec la crudité de certains récits. Cette friction électrique, Evangelia Kranioti la pratique aussi dans son film, opposant aux paroles d’hommes exilés en mer et à leur rude quotidien face aux éléments, la chambre coquette de Sandy, perchée en haut de la ville, qui fait d’elle à la fois la reine et la prisonnière de son empire. Evangelia Kranioti parcourt avec sa caméra le corps nu allongé de Sandy, de la même manière qu’elle filme le port de la ville éclairé de mille feux, dans un réel prolongement. Pourtant ces destins solitaires qui ne demandent qu’à se rencontrer, ne feront jamais que se croiser, rendant la traversée des corps plus menaçante que celle des tempêtes et des glaciers.
"J’ai aussi choisi le cinéma pour transgresser les interdits, [...] pour les matérialiser. Cela ne veut pas dire pour autant qu’on en est libérée, mais disons que ça devient un territoire qu’on peut s’approprier, dans lequel on peut naviguer." Catherine Breillat, dans Corps amoureux.
Bien loin du stéréotype de la femme passive à qui l'on dicterait sa sexualité, ce sont des pussies (devant et derrière la caméra) qui partent activement à la recherche de leur propre sexualité que ce quatrième tandem illustre.
Avec tout ce que cette quête implique de félicité, de douleur et d’apprentissage.
Ces deux exemples contemporains (un road movie documentaire Too Much Pussy! Feminist Sluts, A Queer X Show d’Emilie Jouvet, de 2010, et un court métrage d’animation Natalie. D d’Angèle Béraud, de 2018) révisent les stéréotypes de genre relatifs au corps et à la sexualité féminine, en représentant les femmes, leurs désirs, sous un nouvel angle, plus complexe, moins lisse, prenant le contrepied des images trop souvent diffusées (l’éternelle figuration depuis ce prisme masculin du cinéma dominant, traditionnellement objectivant pour les femmes).
En usant d’une forme cinématographique impudique et en mettant en scène des protagonistes de sexe féminin qui affichent leur corps, leur anatomie intime (Dans Too Much Pussy!, une jeune femme exhibe son col de l’utérus au public, d’autres se masturbent jusqu’à l’orgasme), et leurs désirs sexuels (homosexuelles dans Natalie. D), ces deux réalisatrices adoptent une posture féministe qui déjoue volontairement l'expérience érotique du spectateur.
Suivons l’invocation d’Iris Brey qui défend l’indispensable regard féminin, car loin d'être un détail, il pourrait être le début d'une révolution sexuelle, "Inondez nos écrans de female gaze !".