Entrer dans le cercle

Entrer dans le cercle

Entrer dans le cercle… Traverser les frontières invisibles qui segmentent le monde en autant de territoires impénétrables. Un geste cinématographique fort qui implique pourtant d’imposer la caméra, outil toujours exogène, souvent politiquement ambigu, voire violent.

Cette légitimité de la caméra arrachée à l’équilibre du réel qu’elle vient perturber est une des questions premières qu’affronte le cinéma documentaire au travers de la mise en scène. Et plus le territoire social et humain qu’elle pénètre relève d’un univers reclus, assigné, assiégé, plus la réalisation doit assumer les modalités de cette transgression.

Parmi les centaines de films que notre association l’ACID a soutenus depuis 32 ans, nous avons ainsi choisi six documentaires qui nous plongent dans des espaces passionnants grâce à des propositions singulières de cinéma. Non pas des solutions qui viendraient ouvrir, comme des clefs magiques, des portes infranchissables, mais plutôt comme des positions qui pensent déjà les mondes que ces films vont travailler.

Il en est ainsi du Russe Vitali Kanevski qui, comme un monsieur loyal sadique et roublard, nous précipite sans ménagement dans le milieu des enfants des rues de Saint-Pétersbourg dont il est lui-même issu. Nous, les enfants du XXe siècle s’empare de la provocation comme d’une arme pour nous jeter en pleine figure la violence de ce monde de fillettes et de garçons, vivant de rackets, pour certains déjà meurtriers, n’obéissant qu’à la loi du plus fort, à la solidarité et à la fureur de vivre, et nous somme de regarder. En 1994, le Fipa avait attribué une mention spéciale au film « pour l’acharnement qu’a mis le réalisateur à déstabiliser le spectateur et à le mettre en demeure de prendre parti ».

Dans Bad boys, cellule 425, le polonais Janusz Mrozowski se plante pendant dix jours au milieu d’une cellule de 15m2 dans laquelle sept autres hommes purgent des peines de 9, 12, 18 et 25 ans. De la quasi impossibilité de traduire ce que peut être l’enfermement de longues peines, Mrozowski tire une performance d’abord spatiale dans laquelle lui et sa caméra s’additionnent et se heurtent à cette imbrication de sept autres corps qui n’ont, eux, d’autres choix que de se côtoyer, se supporter ou tenter de s’isoler. Il met ainsi en espace leur véritable exploit physique pour mieux souligner qu’il n’est que la métonymie de celles d’existences fracassées qui doivent pourtant encore se tenir face aux autres, dans la pire des configurations.

Tizzia Covi et Rainer Frimmel usent du biais fictionnel dans La Pivellina, non pas pour romantiser et tirer parti du pittoresque de l’univers des petits circassiens, mais pour mieux capter ce qui les intéresse : donner à voir l’extrême force et délicatesse des qualités humaines que ces êtres partagent, à travers leur sentiment de responsabilité et de préoccupation autour d’une fillette abandonnée.

Fort de ce même outil fictionnel, l’Américain Robert Kramer part, dans Milestones, interroger les siens – ceux des communautés politiques et utopiques des années 70 – et réfléchir avec eux sur les constats d’échecs mais aussi sur ce qui leur a malgré tout survécu et qui a été gagné.

Dans Je suis le peuple, Anna Roussillon pose les relations d’amitié comme préalable dialectique pour observer la révolution en marche en Égypte, à partir du point de vue excentré d’une communauté de paysans près de Louxor.

Enfin, pour Écrivains des frontières, Samir Abdallah et José Reynes franchissent en 2002, avec huit écrivains, les checkpoints de Ramallah assiégée et isolée du monde par le gouvernement d’Ariel Sharon. Le temps d’un film, ils dessinent un chemin qui re-lie, en tentant à la fois de rétablir la continuité territoriale d’une zone totalement démembrée, autant que la possibilité de refaire des phrases, c’est à dire de recommencer à construire un discours, une pensée, qui ne serait pas simple harangue bipolarisée.

Six expériences à travers lesquelles ces cinéastes n’ont de cesse d’interroger et de revendiquer leur place pour interroger celles et ceux qu’ils et elles ont décidé de mettre en lumière.

Marie-Pierre Brêtas
Cinéaste, membre de l’ACID

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