Demain ne meurt jamais

Demain ne meurt jamais

On peut tirer le diable par la queue, mais par quel bout attraper la mort ? Il y a mille manières d'aborder ce lieu commun, à la fois bavard et silencieux, comme le sont souvent les énigmes métaphysiques. Mille manières, donc, mais nous n'en choisirons ici qu'une seule : contournant le général, cette escale se propose d'entrer dans le sujet par le particulier, la situation, le contexte et le détail. Pas de grande théorie sur les rapports à la mort et aux mort·es, pas d'injonction thérapeutique pour bien accomplir son travail de deuil, pas d'explication extérieure plaquée sur un phénomène si complexe. À l’inverse, une description presque ethnographique de la manière dont les vivant·es côtoient la mort, composent avec elle... et meurent à leur tour. Plutôt que de se heurter, de front, à un froid monument de marbre, c’est un dialogue que nous avons choisi de mettre en avant, un dialogue entre sept films, qui commence ici, continue là, et se poursuit de l’autre côté de l’écran, dans l’intimité des spectateur·rices.

La grand-mère de la Vieille femme à l'aiguille, filmée face caméra par sa petite-fille, affirme atterrée : "Je trouve complètement insupportable, scandaleux, de croire qu'il n'y a qu'une vie terrestre". De son côté, la narratrice de Quand je serai dictateur déroule ses multiples vies imaginaires, toutes habitées par Georges, un ami parti brusquement, et confie : "De l’autre côté de l’univers, il y a tout ce qui a cessé d’exister ici, ou ce qui n’a pu exister… mais à l’envers". Quant au traducteur tibétain du Rappel des oiseaux, il explique au réalisateur français : "On brûle toutes les photos. Quelques années après, on est juste un rêve". Les questionnements affleurent. Qui parle ici ? Les vivant·es ? Les mort·es ? Les futur·es mort·es ? Le brouillage est signifiant. En effet, "tous les hommes sont mortels bien qu'en général ils fassent comme s'ils n'en savaient rien", récite la voix off, écrite par Chris Marker, dans La Mer et les jours, qui dépeint le quotidien de l’île de Sein, aux prises avec les éléments.

Si la mort plane au-dessus de chaque existence comme un soleil pâle, à la fois central et effacé, quel est le destin de celles et ceux qui l’ont définitivement rencontrée ? Ou plutôt, que faisons-nous – nous, vivant·es – de nos mort·es ? Et surtout, que font les mort·es de nous – vivant·es ? La réponse proposée par les films est encore une fois plurielle : on sent l’être disparu dans son dos, on l’accuse de nous avoir fait perdre les clefs, on réalise des films, on s’interroge face à un rituel mortuaire dont on ne saisit pas les codes, et puis on se souvient… À cet égard, les fossoyeurs du Patio, contraints d’enterrer les victimes de la répression politique de Pinochet en 1973, tout comme les cavaliers de The Ride, qui commémorent la mémoire des Sioux massacrés à Wounded Knee, montrent la puissance des mort·es intranquilles : en enrayant le mécanisme de l’oubli, en interpellant le monde des vivant·es, ces dernier·es créent les conditions de la colère et de la continuation. C’est aussi le pari de Bodycam, film-témoin d’une police qui tue et tente toujours de garder la maîtrise du récit des événements. Montrer la mort revient souvent à montrer la fragilité de la vie, de certaines vies.

Que l’on aborde la question du temps qui passe, du suicide, du rituel, de l’insondable, du deuil ou du souvenir, cette sélection de courts et de longs métrages se place toujours du côté de celles et ceux qui restent. Articulant différents contextes sociaux et espaces géographiques, la focale varie, passe aisément du singulier au collectif, et de l’intime au politique. Les échos sont nombreux, et les certitudes comme les frontières sont brouillées. De film en film, c’est un tableau sensible et pointilliste qui apparaît. Une Escale pour nous accompagner dans la vie, comme le Livre des morts qui était, dans l’Égypte ancienne, glissé à côté des défunt·es pour les guider dans leur voyage et leur permettre de sortir au jour, du côté des vivant·es.

Loïc Cloez, Cyril Hugonnet et Julia Burtin Zortea
pour À Bientôt j’espère

 

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