L’Escale à laquelle nous vous convions cette semaine est faite de croisements, de rencontres, et d’hybridations toutes en mouvements, en partenariat avec le festival Karavel et le chorégraphe Mourad Merzouki, dont le travail s'attelle depuis toujours à créer des ponts entre la danse hip-hop et les autres disciplines du spectacle vivant – et notamment entre la rue et la scène.
Spectacle vivant, la boxe ? C'est en tout cas le pari que fait le chorégraphe dans le film La Danse aux poings de Mourad Merzouki. Porter la boxe – sport qu'il pratiquait avant de découvrir le hip-hop – sur la scène (ou bien faire de la scène un ring ?) voilà l'ambition du spectacle Boxe Boxe monté en 2010 et dont le film raconte le processus de création qui implique notamment le Quatuor Debussy à la composition musicale.
De combat il est également question dans On n'est pas des marques de vélo, de Jean-Pierre Thorn. Celui, dans les années 1980-90, de Bouda, danseur de hip-hop au destin brisé, confronté à la « double peine » : arrêté, emprisonné, expulsé en Tunisie et contraint de vivre en France dans la clandestinité. Et à travers son histoire c'est aussi toute l'époque d'émergence du hip-hop en France qui est racontée, faisant intervenir ses figures majeures. Un film de danse, un film historique, un film militant.
Phil Collins aborde lui aussi la danse en lien avec les mécanismes de domination et d’oppression qui façonnent la société, ici états-unienne. Bring Down the Walls est un événement organisé par le réalisateur et des centaines d'activistes à New York en 2018, une agora consacrée à l'industrie carcérale : discussions publiques le jour, dancefloor la nuit. La house et les lieux qui lui sont associés sont ici abordés dans leurs puissances politique et émancipatrice, mais aussi avec leur teneur historique, celle d’un mouvement qui a émergé dans les années 80 au sein de la communauté noire, disproportionnellement visée par l’incarcération de masse.
C’est une autre manière d’aborder les danses urbaines que propose Clément Cogitore, en s’associant avec la chorégraphe Bintou Demebelé et les danseur·euses de sa compagnie Rualité. Ensemble, ils poursuivent pour l’Opéra Bastille le travail commencé avec la mise en scène de la Danse du Grand calumet de la paix sous forme de battle de krump dans Les Indes galantes. Philippe Béziat nous embarque dans les coulisses de ce spectacle, réunissant ensemble danseurs et danseurs de krump, voguing, flexing, breaking et le Chœur de chambre de Namur dans Indes galantes (disponible uniquement en France).
À l’inverse, la danse contemporaine peut aussi s’inviter dans la rue, comme c’est le cas dans Les Gestes de Saint-Louis, collaboration entre la cinéaste Kita Bauchet et la compagnie Diagn’art, dirigée par Aliougne Diagne. Une « infiltration chorégraphique de la ville à 2 danseurs et 2 caméras » dans la ville sénégalaise. Ici les gestes de la vie quotidienne – dans les ruelles, sur les marchés, par-dessus les ponts – nourrissent les mouvements des danseurs. Et vice versa : la danse s'invite au cœur de la ville – qui ne s'y attend pas.
Penser la danse, c’est aussi se demander ce qui la régit ; ce que les institutions culturelles font à l’art et aux artistes. Pour Rythmasspoetry, la chorégraphe Cecilia Bengolea et l’artiste Jeremy Deller rencontrent Denis Trouxe, ancien adjoint au maire de Lyon, chargé de la culture, et lui font interpréter un rap ironique dans sa villa de la banlieue huppée, entourée des danseuses Domy Caramel, Latys Shye et Sarah, originaires de Vaulx-en-Velin. En un clip drôle et étrange, les artistes synthétisent la récupération et l’instrumentalisation, redoublés par les questions de sexisme et de racisme.