Le rapport que nous, occidentaux, entretenons avec la nature et le vivant depuis des siècles est un rapport surplombant, de domination, d’exploitation, y compris envers une partie de l’humanité. Aujourd’hui, il s’agit de reposer les enjeux et de repenser nos actions sur notre environnement, proche ou lointain. Certains affirment que « la crise écologique systémique qui est la nôtre est plus qu’une crise des sociétés humaines d’un côté, plus qu’une crise des vivants de l’autre, c’est une crise de nos relations au vivant » (Baptiste Morizot, L’Inexploré, 2023).
Cette question de la relation est une question du rapport sensible que nous entretenons à notre environnement, qui nous pousse à retrouver le contact que nous avons perdu avec la nature. Mieux sentir le monde, être « à l’écoute du monde » et imaginer des nouvelles interactions où la nature et la culture s’associent, se combinent est l’enjeu essentiel.
« À nous de décider de collaborer ou non avec des systèmes qui produisent autant de souffrance, à nous de choisir si nous sommes séparés par nature des arbres, des animaux, des roches, des étoiles. À nous de choisir le chemin. À nous de le rendre possible. » (Jacques Perconte, L’Art et les formes de la nature, 2023).
Pour aller à l’encontre d’un rapport purement utilitariste à la nature, des artistes et des cinéastes ont inventé d’autres modes d’attention qui privilégient la découverte, l’étonnement, l’émerveillement, la considération… En s’immergeant dans des lieux et des milieux spécifiquement choisis, et mettant en œuvre une finesse de perception, tant visuelle que sonore, ils nous invitent à repenser et à refonder nos relations sensibles au monde vivant.
Les six films de cette Escale sont des modèles d’observation et d’attention, qui accordent une place toute particulière au son. On remarquera aussi que les humains en sont presque totalement absents, ou alors relégués dans les marges du film pour s’intéresser bien davantage aux « autres qu’humains ».
C’est le cas de Méandres ou la rivière inventée de Marie Lusson et Émilien de Bortoli, qui prend le prétexte de la descente d’une rivière en radeau pour aller observer au microscope les habitants des lieux et enregistrer le chant des cailloux roulés par la rivière, et ainsi constater à quel point c’est un lieu peuplé de vie. Gorria de Maddi Barber Gutiérrez s’apparente à un film ethnographique sur le pastoralisme, mais les humains sont le plus souvent décadrés et décentrés pour s’attarder sur les animaux et la manière dont ils vivent leur relation aux humains et à leur milieu.
Éphémères de Yuki Kawamura et Dans les bois de Mindaugas Survila rendent visible ce que nous voyons rarement : la vie des animaux sauvages et les interactions qui les relient, qu’elles soient de l’ordre de la prédation ou de la cohabitation, au sein d’écosystèmes menacés. Un travail sonore méticuleux leur redonne la parole et nous donne à entendre ce que le terme biodiversité veut dire.
Pacheû de Camille Llobet et The Sky on Location de Babette Mangolte constatent les catastrophes en cours et à venir liées au réchauffement climatique et à l’épuisement des ressources naturelles, en scrutant l’Histoire sédimentée dans les montagnes et la roche au fil du temps. Un paysage lui-même vivant et en constante métamorphose.
Cette Escale est inspirée par le livre que Vincent Deville a codirigé avec Rodolphe Olcèse, L’Art et les formes de la nature (Hermann, 2023). Le Mois du film documentaire nîmois 2024, « Les Formes de la nature », en est aussi l’écho.
Dominique Rousselet
Chargée du cinéma documentaire à la médiathèque du Carré d’art à Nîmes
Vincent Deville
Maître de conférences en cinéma à l’université Paul-Valéry Montpellier 3
6 documentaires
_Dans les bois_ se déroule dans un lieu où les limites du temps ont disparu, dans une nature sauvage et d’une fragile beauté. Cette immersion totale dans ces forêts ancestrales est une expérience forte pour les spectateurs de tous âges. La caméra de Mindaugas Survila a su capter et filmer les animaux de ces bois comme rarement. Porté par une bande son uniquement composée de bruits de la forêt p...
Méandres ou la rivière inventée
Durée : 3h39Au milieu de l'été, une bande d'amis décide de descendre une rivière dans un radeau de fortune. Les obstacles, physiques et vivants, qu'ils rencontrent témoignent des transformations comme des altérations des cours d'eau par les humains. Mêlant road-trip et parole scientifique, le film tisse des liens entre les mondes immergés et submergés dont les prismes multiples engagent une rencontre répar...
Essai documentaire sur le massif du Mont-Blanc réalisé en collaboration avec des guides de haute montagne et des géomorphologues dans un contexte de changement climatique brutal : fonte des glaciers, dégel du permafrost, augmentation des éboulements rocheux. Trois « dialogues - lectures de terrain » associés aux images de gestes et de corps composent des récits sensibles et subjectifs. Les tour...
Des tripes, un troupeau de brebis, une source. Des pigeons qui roucoulent et des chansons bouche fermée. Quelques vautours, des os, des fleurs et beaucoup de mains. Des mains qui nourrissent, traient, caressent, tondent, filment, des mains qui tuent. Des mains qui habitent les doutes et les contradictions de la manipulation des autres espèces.
Larve longtemps, subimago quelques heures et imago pour la reproduction, non doté pour son alimentation, l'éphémère, être fugace, évoque la survivance des lucioles exprimée par Pier Paolo Pasolini. Citant Philippe Jaccottet, Yuki Kawamura juxtapose temps et mouvement sans craindre l’instant immobile.
« Ce film explore une idée de nature qui m’était inconnue alors que je grandissais en France. [...] Cette vaste étendue non cartographiée était captivante. Je suis sortie de la route, j’ai dormi dehors et je me suis exposée aux éléments, pour sentir dans tout mon corps l’épuisement des premiers migrants qui traversèrent ce territoire. Peut-on imaginer le premier regard que quelqu’un porte sur u...
_Dans les bois_ se déroule dans un lieu où les limites du temps ont disparu, dans une nature sauvage et d’une fragile beauté. Cette immersion totale dans ces forêts ancestrales est une expérience forte pour les spectateurs de tous âges. La caméra de Mindaugas Survila a su capter et filmer les animaux de ces bois comme rarement. Porté par une bande son uniquement composée de bruits de la forêt p...
Méandres ou la rivière inventée
Durée : 3h39Au milieu de l'été, une bande d'amis décide de descendre une rivière dans un radeau de fortune. Les obstacles, physiques et vivants, qu'ils rencontrent témoignent des transformations comme des altérations des cours d'eau par les humains. Mêlant road-trip et parole scientifique, le film tisse des liens entre les mondes immergés et submergés dont les prismes multiples engagent une rencontre répar...
Essai documentaire sur le massif du Mont-Blanc réalisé en collaboration avec des guides de haute montagne et des géomorphologues dans un contexte de changement climatique brutal : fonte des glaciers, dégel du permafrost, augmentation des éboulements rocheux. Trois « dialogues - lectures de terrain » associés aux images de gestes et de corps composent des récits sensibles et subjectifs. Les tour...
Des tripes, un troupeau de brebis, une source. Des pigeons qui roucoulent et des chansons bouche fermée. Quelques vautours, des os, des fleurs et beaucoup de mains. Des mains qui nourrissent, traient, caressent, tondent, filment, des mains qui tuent. Des mains qui habitent les doutes et les contradictions de la manipulation des autres espèces.
Larve longtemps, subimago quelques heures et imago pour la reproduction, non doté pour son alimentation, l'éphémère, être fugace, évoque la survivance des lucioles exprimée par Pier Paolo Pasolini. Citant Philippe Jaccottet, Yuki Kawamura juxtapose temps et mouvement sans craindre l’instant immobile.
« Ce film explore une idée de nature qui m’était inconnue alors que je grandissais en France. [...] Cette vaste étendue non cartographiée était captivante. Je suis sortie de la route, j’ai dormi dehors et je me suis exposée aux éléments, pour sentir dans tout mon corps l’épuisement des premiers migrants qui traversèrent ce territoire. Peut-on imaginer le premier regard que quelqu’un porte sur u...